Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/162

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tout ce qu’on apportait à terre, à ses poches même ; car il n’y a point en Europe de plus adroits filous que les gens de ce pays.

Cependant il ne semble pas que le vol soit ordinaire entre eux. Rien ne ferme dans leurs maisons, tout y est à terre ou suspendu, sans serrure ni gardiens. Sans doute la curiosité pour des objets nouveaux excitait en eux de violents désirs, et d’ailleurs il y a partout de la canaille. On avait volé les deux premières nuits, malgré les sentinelles et les patrouilles, auxquelles on avait même jeté quelques pierres. Les voleurs se cachaient dans un marais couvert d’herbes et de roseaux, qui s’étendait derrière notre camp. On le nettoya en partie, et j’ordonnai à l’officier de garde de faire tirer sur les voleurs qui viendraient dorénavant. Éreti lui-même me dit de le faire, mais il eut grand soin de montrer plusieurs fois où était sa maison, en recommandant bien de tirer du côté opposé. J’envoyais aussi tous les soirs trois de nos bateaux armés de pierriers et d’espingoles se mouiller devant le camp.

Au vol près, tout se passait de la manière la plus amiable. Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans armes, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger ; mais ce n’est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maisons ; la case se remplissait à l’instant d’une foule curieuse d’hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l’hôte ; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs et des musiciens chantaient aux accords de la flûte une hymne de bienvenue.

J’ai plusieurs fois été, moi second ou troisième, me promener dans l’intérieur. Je me croyais transporté dans le jardin d’Éden ; nous parcourions une plaine de gazon couverte de beaux arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans aucun des inconvénients qu’entraîne l’humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleine mains sur lui. Nous trouvions des troupes d’hommes et de femmes assises à l’ombre des vergers ; tous nous saluaient avec amitié ; ceux que nous rencontrions dans les chemins se