Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/163

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rangeaient à côté pour nous laisser passer ; partout nous voyions régner l’hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur.

Je fis présent au chef du canton où nous étions d’un couple de dindes et de canards mâles et femelles ; c’était le denier de la veuve. Je lui proposai aussi de faire un jardin à notre manière, et d’y semer différentes graines, proposition qui fut reçue avec joie. En peu de temps, Éreti fit préparer et entourer de palissades le terrain qu’avaient choisi nos jardiniers. Je le fis bêcher ; ils admiraient nos outils de jardinage. Ils ont bien aussi autour de leurs maisons des espèces de potagers garnis de giraumons, de patates, d’ignames et d’autres racines. Nous leur avons semé du blé, de l’orge, de l’avoine, du riz, du maïs, des oignons et des graines de toute espèce. Nous avons lieu de croire que ces plantations seront bien soignées, car ce peuple nous a paru aimer l’agriculture, et je crois qu’on l’accoutumerait facilement à tirer parti du sol le plus fertile de l’univers.

Les premiers jours de notre arrivée, j’eus la visite du chef d’un canton voisin, qui vint à bord avec un présent de fruits, de cochons, de poules et d’étoffes. Ce seigneur, nommé Toutaa, est d’une belle figure et d’une taille extraordinaire. Il était accompagné de quelques-uns de ses parents, presque tous hommes de six pieds. Je leur fis présent de clous, d’outils, de perles fausses et d’étoffes de soie.

Le 10, il y eut un insulaire tué, et les gens du pays vinrent se plaindre de ce meurtre. J’envoyai à la maison où avait été porté le cadavre ; on vit effectivement que l’homme avait été tué d’un coup de feu. Cependant on ne laissait sortir aucun de nos gens avec des armes à feu, ni des vaisseaux ni de l’enceinte du camp. Je fis sans succès les plus exactes perquisitions pour connaître l’auteur de cet infâme assassinat. Les insulaires crurent sans doute que leur compatriote avait eu tort, car ils continuèrent à venir à notre quartier avec leur confiance accoutumée. On me rapporta cependant qu’on avait vu beaucoup de gens emporter leurs effets à la