Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/201

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Effectivement, il s’en montra une troupe armée qui venait de la partie occidentale de l’île, s’avançant en bon ordre, et ceux-ci paraissaient disposés à les bien recevoir ; mais il n’y avait point eu d’attaque.

Nous trouvâmes les choses en cet état à notre arrivée à terre. Nous y restâmes jusqu’à ce que nos bateaux fussent chargés de fruits et de bois. Je fis aussi enterrer au pied d’un arbre l’acte de prise de possession de ces îles, gravé sur une planche de chêne, et ensuite nous nous rembarquâmes. Ce départ dérangea sans doute le projet des insulaires, qui n’avaient pas encore tout disposé pour nous attaquer. C’est là du moins ce que nous dûmes juger en les voyant s’avancer au bord de la mer, et nous lancer une grêle de pierres et de flèches. Quelques coups de fusils tirés en l’air ne suffirent pas pour nous en débarrasser ; plusieurs même s’avançaient dans l’eau pour nous ajuster de plus près ; une décharge mieux nourrie ralentit aussitôt leur attaque ; ils s’enfuirent dans le bois avec de grands cris. Un matelot fut légèrement blessé d’une pierre.

Ces insulaires sont de deux couleurs, noirs et mulâtres. Leurs lèvres sont épaisses, leurs cheveux cotonnés, quelques-uns même ont la laine jaune. Ils sont petits, vilains, mal faits, et la plupart rongés de lèpre, circonstance qui nous a fait nommer leur île l’île des Lépreux. Il parut peu de femmes, et elles n’étaient pas moins dégoûtantes que les hommes ; ils sont nus ; les femmes ont des écharpes pour porter leurs enfants sur le dos ; nous avons vu quelques-uns des tissus qui les composent, sur lesquels étaient de fort jolis dessins faits avec une belle teinture cramoisie. J’ai remarqué qu’aucun d’eux n’avait de barbe ; ils se percent les narines pour y pendre quelques ornements ; ils portent aux bras en forme de bracelets une dent de babiroussa, ou un grand anneau d’une matière que je crois de l’ivoire, et au cou des plaques d’écaille de tortue, qu’ils nous ont fait entendre être commune sur leur rivage.

Leurs armes sont l’arc et la flèche, des massues de bois de fer et des pierres qu’ils lancent sans fronde. Les flèches sont des roseaux armés d’une longue pointe d’os très aiguë. Quelques-unes de ces pointes sont carrées et garnies sur les arêtes de petites pointes