Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/202

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couchées en arrière, qui empêchent de pouvoir retirer la flèche de la plaie. Ils ont encore des sabres de bois de fer. Leurs pirogues ne nous ont pas approchés. Elles nous ont paru de loin faites et voilées comme celles des îles des Navigateurs.

La plage où nous avons abordé présentait une très petite étendue. À vingt pas du bord de la mer, on trouve le pied d’une montagne dont la pente, quoique très rapide, est couverte de bois. Le terrain est très léger et a peu de profondeur : aussi les fruits, quoique de la même espèce qu’à Taïti, sont-ils moins beaux ici et d’une moins bonne qualité. Nous y avons trouvé une espèce de figue particulière. On rencontre beaucoup de routes tracées dans le bois, et des espaces enclos par des palissades de trois pieds de haut. Sont-ce des retranchements ou simplement des limites de possessions différentes ? Nous n’avons vu d’autres cases que cinq ou six petites huttes, dans lesquelles on ne pouvait entrer qu’en se traînant sur le ventre. Nous étions cependant environnés d’un peuple nombreux ; je le crois fort misérable : cette guerre intestine, dont nous avons été les témoins, est un cruel fléau. Nous entendîmes, à plusieurs reprises, le son rauque d’une espèce de tambour sortir de la profondeur du bois vers le sommet de la montagne. C’est sans doute leur signal de ralliement ; car, dès l’instant où nos coups de fusils les ont dispersés, il a recommencé à battre. Il redoublait aussi son lugubre bruit lorsque cette troupe ennemie que nous avons vue plusieurs fois venait à paraître. Notre Taïtien, qui avait désiré être de la descente, nous a paru trouver cette espèce d’hommes fort vilaine ; il n’entendait absolument aucun mot de leur langue.

À notre arrivée à bord, nous rembarquâmes nos bateaux, et je fis servir courant au sud-ouest sur une très longue côte que nous découvrîmes à toute vue depuis le sud-ouest jusqu’à l’ouest-nord-ouest. Pendant la nuit il y eut peu de vent, et il ne cessa de varier, de sorte que nous restâmes au pouvoir des courants, qui nous entraînèrent dans le nord-est. Ce temps continua la journée du 24 et la nuit suivante, et nous pûmes à peine nous élever à trois lieues de l’île des Lépreux. Le 25 à cinq heures du matin, nous eûmes une assez jolie