Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/267

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mais ils s’en défaisaient toujours à vil prix, et les matelots purent tous se munir de poules, d’œufs et de fruits. On ne voyait que volailles sur les vaisseaux, tout en était garni jusqu’aux hunes. Je conseille toutefois à ceux qui reviendraient dans les Moluques, de faire emplette, s’ils le peuvent, de la monnaie dont les Hollandais s’y servent, surtout de ces pièces argentées qui valent deux sous et demi. Comme les Indiens ne connaissaient pas les monnaies que nous avions, ils ne donnaient aucune valeur ni aux réaux d’Espagne, ni à nos pièces de douze et de vingt-quatre sous : fort souvent même ils ne voulaient pas les prendre. Ceux-ci débitèrent aussi quelques cotonnades plus fines et plus jolies que celles que nous avions encore vues, et une énorme quantité de cacatois et de perruches du plus beau plumage.

Vers neuf heures du matin, nous eûmes la visite de cinq orencaies de Button. Ils vinrent dans un canot semblable à ceux des Européens, à cette différence près qu’on le voguait avec des pagaies au lieu d’avirons. Ils portaient à poupe un grand pavillon hollandais. Ces orencaies sont bien vêtus. Ils ont des culottes longues, des camisoles avec des boutons de métal et des turbans, tandis que les autres Indiens sont nus. Ils avaient aussi la marque distinctive que leur donne la Compagnie, qui est la canne à pomme d’argent, avec cette marque . Le plus âgé avait au-dessus une m de la façon suivante . Ils venaient, dirent-ils, se ranger à l’obéissance de la Compagnie, et quand ils surent que nous étions français, ils ne furent point déconcertés, et dirent que très volontiers ils offraient leurs hommages à la France. Ils accompagnèrent leur compliment de bienvenue du don d’un chevreuil. Je leur fis au nom du roi un présent d’étoffes de soie, qu’ils partagèrent en cinq lots, et je leur appris à connaître le pavillon de la nation. Je leur proposai de la liqueur ; c’était ce qu’ils attendaient, et Mahomet leur permit d’en boire à la prospérité du souverain de Button, de la France, de la Compagnie de Hollande, et à notre heureux voyage. Ils m’offrirent alors tous les secours qui pouvaient dépendre d’eux, et ajoutèrent que, depuis trois ans, il avait passé en divers temps trois vaisseaux anglais, auxquels ils avaient fourni eau, bois, volailles et fruits, qu’ils étaient leurs amis, et qu’ils voyaient bien que nous le serions aussi. Dans ce moment leurs verres étaient pleins, et ils avaient déjà plusieurs fois vidé