Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/266

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depuis environ cent cinquante jusqu’à quatre cents toises, estime jugée au coup d’œil ; le canal va en serpentant et du côté de Pangasini, environ aux deux tiers de sa longueur, il y a une pêcherie qui avertit de défendre ce côté et de hanter celui de Button. En général, il faut, autant qu’il est possible, tenir le milieu du goulet. Il convient aussi, à moins d’un vent favorable assez frais, d’avoir ses bateaux devant soi, pour se tenir bien gouvernant dans les sinuosités du canal. Au reste, le courant y est assez fort pour qu’on puisse le franchir par un temps calme et même par un faible vent contraire ; il ne l’est pas assez pour vaincre un vent ennemi qui serait frais, et permettre alors de passer en cajolant sous les huniers. En débouquant de la passe, les terres de Button, plusieurs îles qui en sont dans le sud-ouest et les terres de Pangasini présentent l’aspect d’un grand golfe. Le meilleur mouillage y est vis-à-vis le comptoir hollandais, à environ un mille de terre.

Notre pilote buttonien nous avait aidés de ses lumières autant qu’un homme qui connaît le local et n’entend rien à la manœuvre de nos vaisseaux le pouvait faire. Il avait la plus grande attention à nous avertir des dangers, des bancs, des mouillages. Seulement, il voulait que nous missions toujours le cap droit où nous avions affaire, il ne tenait pas compte de notre manière de serrer le vent, pour le ménager et s’en assurer. Il pensait aussi que nous tirions huit ou dix brasses d’eau. Dans la matinée, il nous était venu à bord un autre Indien, vieillard fort instruit, que nous crûmes le père du pilote. Ils restèrent avec nous jusqu’au soir et je les renvoyai dans un de mes canots. Leur habitation est voisine du comptoir hollandais. Ils ne voulurent absolument goûter à aucun de nos mets, pas même au pain ; quelques bananes et du bétel, voilà quelle fut leur nourriture. Ils ne furent pas si religieux sur la boisson. Le Pratique et son père burent largement de l’eau-de-vie, assurés sans doute que Mahomet n’avait défendu que le vin.

Le 17, à cinq heures du matin, nous fûmes sous voiles. Le vent était debout, faible d’abord, ensuite assez frais, et nous restâmes sur les bords. Dès les premiers rayons du jour, nous vîmes déboucher de toutes parts un essaim de pirogues, les navires en furent bientôt environnés et le commerce s’établit. Tout le monde s’en trouva bien. Les Indiens tirèrent assurément avec nous meilleur parti de leurs denrées qu’ils n’eussent fait avec les Hollandais ;