Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/281

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chaleur y contraint. Nous partîmes à six heures du matin, conduits par le sabandar M. Vanderluys, et nous allâmes trouver M. Van der Para, général des Indes orientales, lequel était dans une de ses maisons de plaisance à trois lieues de Batavia. Nous vîmes un homme simple et poli, qui nous reçut à merveille et nous offrit tous les secours dont nous pouvions avoir besoin. Il ne parut ni surpris ni fâché que nous eussions relâché aux îles Moluques ; il approuva même beaucoup la conduite du résident de Boëro et ses bons procédés à notre égard. Il consentit à ce que je misse nos malades à l’hôpital de la Compagnie, et il envoya sur-le-champ l’ordre de les y recevoir. À l’égard des fournitures nécessaires aux vaisseaux du roi, il fut convenu qu’on remettrait les états de demandes au sabandar, qui serait chargé de nous pourvoir de tout. Un des droits de sa charge était de gagner et avec nous et avec les fournisseurs. Lorsque tout fut réglé, le général me demanda si je ne saluerai pas le pavillon ; je lui répondis que je le ferai, à condition que ce serait la place qui rendrait le salut, et coup pour coup. Rien n’est plus juste, me dit-il, et la citadelle a les ordres en conséquence. Dès que je fus de retour à bord, nous saluâmes de quinze coups de canon, et la ville répondit par le même nombre.

Je fis aussitôt descendre à l’hôpital les malades des deux navires, au nombre de vingt-huit, les uns encore affectés du scorbut, les autres, en plus grand nombre, attaqués du flux de sang. On travailla aussi à remettre au sabandar l’état de nos besoins en biscuit, vin, farine, viande fraîche et légumes, et je le priai de nous faire fournir notre eau par les chalands de la Compagnie. Nous songeâmes en même temps à nous loger en ville pour le temps de notre séjour. C’est ce que nous fîmes dans une grande et belle maison que l’on appelle iner logment, dans laquelle on est logé et nourri pour deux risdales par jour, non compris les domestiques ; ce qui fait près d’une pistole de notre monnaie. Cette maison appartient à la Compagnie, qui l’afferme à un particulier, lequel a, par ce moyen, le privilège exclusif de loger tous les étrangers. Cependant les vaisseaux de guerre ne sont pas soumis à cette loi, et en conséquence l’état-major de l’Étoile s’établit en pension dans une maison bourgeoise. Nous louâmes aussi plusieurs voitures, dont on ne saurait absolument se passer dans cette grande ville, voulant surtout en parcourir les environs, plus beaux infiniment que la ville même. Ces voitures de