Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

louage sont à deux places, traînées par deux chevaux, et le prix, chaque jour, en est un peu plus de dix francs.

Nous rendîmes en corps, le troisième jour de notre arrivée, une visite de cérémonie au général, que le sabandar en avait prévenu. Il nous reçut dans une seconde maison de plaisance nommée Jacatra, laquelle est à peu près au tiers de la distance de Batavia à la maison où j’avais été le premier jour. Je ne saurais mieux comparer le chemin qui y mène qu’aux plus beaux boulevards de Paris, en les supposant encore embellis à droite et à gauche par des canaux d’une eau courante. Nous eussions dû faire aussi d’autres visites d’étiquette, introduits de même par le sabandar, savoir chez le directeur général, chez le président de justice et chez le chef de la marine. M. Vanderluys ne nous en dit rien, et nous n’allâmes visiter que le dernier. Quoique cet officier n’ait au service de la Compagnie que le grade de contre-amiral, il est néanmoins vice-amiral des États, par une faveur particulière du stathouder. Ce prince a voulu distinguer ainsi un homme de qualité que le dérangement de sa fortune a forcé de quitter la marine des États qu’il a bien servis, pour venir prendre ici le poste qu’il y occupe.

Le chef de la marine est membre de la haute Régence, dans les assemblées de laquelle il a séance et voix délibérative pour les affaires de marine ; il jouit aussi de tous les honneurs des Edel-heers. Celui-ci tient un grand état, fait bonne chère, et se dédommage des mauvais moments qu’il a souvent passés à la mer, en occupant une maison délicieuse hors de la ville.

Pendant que nous restâmes ici, les principaux de Batavia s’empressèrent à nous en rendre le séjour agréable. De grands repas à la ville et à la campagne, des concerts, des promenades charmantes, la variété de cent objets réunis ici et presque tous nouveaux pour nous, le coup d’œil de l’entrepôt du plus riche commerce de l’univers, mieux que cela, le spectacle de plusieurs peuples qui, bien qu’opposés entièrement pour les mœurs, les usages, la religion, forment cependant une même société : tout concourait à amuser les yeux, à instruire le navigateur, à intéresser même le philosophe. Il y a de plus ici une comédie qu’on dit assez bonne ; nous n’avons pu juger que de la salle, qui nous a paru jolie : n’entendant pas la langue, ce fut bien assez pour nous d’y aller une fois. Nous fûmes infiniment plus curieux des comédies chinoises, quoique nous n’entendissions pas mieux ce