Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à eux avec des bâtons. Ils ont pour ennemi un oiseau de proie à pieds palmés, ayant plus de sept pieds d’envergure, le bec long et fort, caractérisé par deux tuyaux de même matière que le bec, lesquels sont percés dans toute leur longueur. Cet animal est celui que les Espagnols appellent quebranta-huessos.

Une quantité de mauves ou mouettes de couleurs très variées et très agréables, de caniarts et d’équerrets, presque tous d’un plumage gris et vivant par familles, viennent planer sur les eaux et fondent sur le poisson avec une vitesse extraordinaire. Ils nous servaient à reconnaître les temps propres à la pêche de la sardine ; il suffisait de les tenir un moment suspendus, et ils rendaient encore dans sa forme ce poisson qu’ils ne venaient que d’engloutir. Le reste de l’année ils se nourrissent d’autres espèces de petits poissons. Ils pondent autour des étangs, sur des plantes vertes assez semblables aux nénuphars, une grande quantité d’œufs très bons et très sains.

On distingua trois espèces de pingouins ; la première, remarquable par sa taille et la beauté de son plumage, ne vit point par familles comme la seconde, qui est la même que celle décrite dans le Voyage du Lord Anson. Ce pingouin de la première classe aime la solitude et les endroits écartés. Son bec plus long et plus délié que celui des pingouins de la seconde espèce, les plumes de son dos d’un bleu plus clair, son ventre d’une blancheur éblouissante, une palatine jonquille qui part de la tête et va terminer les nuances du blanc et du bleu pour se réunir ensuite sur l’estomac, son col très long quand il lui plaît de chanter, son allure assez légère, lui donnent un air de noblesse et de magnificence singulières. On espéra de pouvoir en transporter un en Europe. Il s’apprivoisa facilement jusqu’à connaître et suivre celui qui était chargé de le nourrir, mangeant indifféremment le pain, la viande et le poisson ; mais on s’aperçut que cette nourriture ne lui suffisait pas et qu’il absorbait sa graisse ; aussitôt qu’il fut maigri à un certain point, il mourut. La troisième espèce habite par familles comme la seconde sur de hauts rochers, dont elle partage le terrain avec les becs-scies ; ils y pondent aussi. Les caractères qui les distinguent des deux autres sont leur petitesse, leur couleur