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chacun d’eux, est un sanctuaire, cœur et tête de l’édifice vers lequel tout converge ou tout monte. Partout des statues en pierre ou en métal représentant de mystiques personnages. Nulle part, l’architecture ne se plie dans son exigeante symétrie aux convenances d’habitants quels qu’ils soient, rois ou moines : pas de salles vastes, pas de larges colonnades pour les assemblées ; quelquefois même les tours et les galeries ne reçoivent aucun jour. À l’absence de salle, on ne saurait objecter l’ignorance de l’art des voûtes : même avec le procédé de l’encorbellement, les Khmers auraient pu obtenir des ouvertures plus grandes et ils ne pouvaient ignorer la construction d’un plafond de pierre soutenu par des colonnes. D’ailleurs, quand des constructeurs, des artistes d’un génie aussi élevé, approvisionnés de magnifiques matériaux, disposant de nombreux ouvriers, agissent comme ceux dont nous venons de faire connaître les œuvres, on ne doit point, croyons-nous, supposer l’impuissance : ils obéissaient sans doute à des lois plus fortes que celles de leur art, aux rites de leur pays, aux canons hiératiques de leur religion.

Mais le but principal atteint, on a pu affecter secondairement les édifices aux usages des prêtres ou des rois. Leur autorité et leur prestige ne pouvaient qu’en être rehaussés, et leur présence, loin de nuire à la sainteté du lieu, ne faisait que la consacrer plus entière, comme un éclatant témoignage de vénération. Le monument se complétait alors sans doute par des constructions accessoires en bois, aujourd’hui disparues. Les larges cours comprises entre les diverses enceintes fournissaient toute la place nécessaire, et les colonnades, les galeries pouvaient elles-mêmes se transformer facilement, à l’aide de nattes ou de tentes, en abris pour les pèlerins, les gens de service ou les hommes de garde.

On ne nous taxera pas sans doute de témérité, si nous affirmons, à la fin de cette étude, que l’architecture khmer est une des plus originales et des plus puissantes qui existent.

L’harmonie de l’ensemble, l’élégance de l’ornementation, la distribution si claire des parties fait involontairement songer à la classique architecture grecque. Il n’y a qu’un seul ordre, il est vrai ; les colonnes sont remplacées presque partout par des piliers ; mais les proportions des entrecolonnements, la décoration pure et riche des chapiteaux et des bases, la délicatesse de certaines arabesques qui couvrent les pilastres et les murs sont inspirées par le goût le plus parfait. Les monuments sont immenses, mais l’on n’y sent pas l’effort. Point de ces énormes entassements de l’architecture égyptienne, de ces monolithes gigantesques qui ne produisent que l’étonnement, et qui n’ont demandé que des bras. La force ici se dissimule sous la grâce et, malgré les dimensions des édifices, l’idée de grandeur n’éveille plus celle de lassitude. On ne trouve même pas ces accouplements de pierres, cette solidité exagérée qui caractérisent l’architecture romaine.

Si, de ces péristyles grands et nobles, de ces galeries simples et imposantes qui circulent autour des monuments, on élève les yeux vers les voûtes ogivales qui les recouvrent, vers ces immenses tours étagées qui surmontent les portes et les sanctuaires ; si, après avoir admiré les rosaces, les oves, les entrelacements réguliers de tiges, de feuilles et de fleurs, on porte les regards sur la foule grimaçante des monstres de la mythologie hindoue, sur ces nombreuses représentations d’anges et de saints en prières, sur ces interminables