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sous ce roi, les habitants des montagnes descendirent habiter la nouvelle ville, et la terre se sécha peu à peu[1].

Une autre légende s’écarte moins de la première : Nos ancêtres, disent les Cambodgiens, viennent d’un pays nommé Muong Rom ou Romavisei, situé non loin de Taxila. Jadis régnait sur cette contrée un roi grand et sage ; devant les plaintes unanimes portées par le peuple contre son fils, qui était Obbarach (second roi), il l’envoya en exil comme un criminel. Prea Thong, les cheveux coupés, un collier de bois sur les épaules, un bâillon dans la bouche, fut abandonné sur un radeau aux hasards de l’Océan. La frêle embarcation, poussée par les vents et les vagues, fut jetée sur une île, située près de la ville actuelle de Siemréap, où croissait l’arbre Thloc. Le prince saisit une de ses branches ; mais, aussitôt enlevé jusqu’au sommet de l’arbre, qui se mit à grandir rapidement, il se hâta de descendre et s’engagea résolûment dans une cavité intérieure du tronc de l’arbre qui aboutissait au royaume des Serpents. Nang Nakh suivait chaque jour ce chemin pour aller se baigner. Prea Thong la rencontra, réussit à lui plaire, et Phnhéa Nakh, trouvant en lui un gendre à sa convenance, le fit couronner comme son successeur.

Prea Thong ne tarda pas, malgré toutes les richesses dont il jouissait, à soupirer ardemment après son retour sur la terre. Son beau-père, condescendant à ses désirs, bâtit pour lui Angcor Tom, qui fut appelée Kampouchea ou « née des eaux ». Mais le peuple se plaignit bientôt des visites fréquentes que le roi des Serpents faisait à sa fille et à son gendre. Prea Thong, pour y mettre fin, plaça aux portes de la ville la quadruple tête de Brahma, et Phnhea Nakh, à la vue de cette image redoutée, s’enfuit à la hâte dans sa demeure souterraine, que désormais il n’osa plus quitter. Le sdach Comlong, « roi lépreux », qui succéda à son père Prea Thong, voulut que ce qui avait été pour celui-ci un signe d’infamie, devînt pour son peuple un signe d’honneur, et c’est depuis cette époque que les Khmers portent les cheveux coupés court, les oreilles percées, et ont à la bouche un petit morceau de bois dont ils se servent pour se nettoyer les dents.

Dans une autre légende, Prea Thong serait le fils d’un roi de Birmanie. Chassé par son père, il aurait gagné par terre le Cambodge, qu’il aurait trouvé aux mains des Tsiams dont le roi résidait à Barai. Il les soumit et bâtit la ville d’Angcor. Ailleurs, Prea bat Sang

  1. Le Dr Bastian rapporte, d’après les chroniques siamoises d’Enthapatabouri, une autre version de cette légende, que je vais résumer en conservant l’orthographe siamoise des noms propres : La reine de Khomeratthani mit au monde Ketumala d’une façon miraculeuse qui fit soupçonner sa vertu. Elle fut chassée de la cour avec son enfant. Indra les abrita tous deux dans une caverne au pays du Khok-Thalok, bâtit pour l’enfant une ville splendide, puis, sous la forme d’un éléphant blanc, attira le peuple de Khomerat à la nouvelle cité, qui prit le nom d’Inthapat-maha-nakhon. Le roi Ketumala n’ayant pas d’héritier, Indra lui en envoya un de sa descendance, que Ketumala trouva dans le calice d’une fleur de lotus, et qu’il adopta sous le nom de Pathumma-surivong. C’est ce dernier prince qui épousa Nang Nakh, et qui, avec l’aide de son beau-père, Phaya Nakh, construisit une nouvelle ville, Nakhon-tom. À la mort de Ketumala, Pathumma donna la ville d’Inthapat à Buddhaghosa pour en faire un monastère, et elle prit le nom de Phra Nakhon Vat. Tous les royaumes voisins envoyèrent un tribut au roi de Nakhon-tom ; la ville de Sukothay envoya de l’eau, celle de Taleing des étoffes de soie, celle de Lavo du poisson séché, etc. (Die Vœlker des œstlichen Asien, t. I, p. 438-439.)

    J’ignore sur quelle autorité ou quelle tradition s’appuie Gutzlaff quand il dit (J. R. G. S., t. XIX, p. 406) que la fondation du royaume de Cambodge coïncide avec l’introduction du bouddhisme et remonte au iie siècle de notre ère. Nous verrons que l’origine de ce royaume est beaucoup plus ancienne.