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Cachac, fils du roi Prea bat Kuvero, quitte le royaume de Khoverat ou de Khomerat[1], situé sur les frontières de la Chine et dont les habitants s’habillent avec la feuille du lotus, et conduit les Khmers vers le sud jusqu’au pays habité par les Xong et les Samre. Il subjugue ces montagnards, s’allie avec eux et bâtit la ville de Kam ou d’Enthapat. Le pays s’appela Kampouchea, « race de Kam » (Puoch, race, chea, être). Le sdach Comlong, successeur de Sang Cachac, fut affligé de la lèpre que lui communiqua l’haleine empoisonnée du roi des Serpents, furieux de la destruction de son culte, et il mourut de cette maladie, pour n’avoir pas su accomplir les rites magiques nécessaires.

Enfin, les émigrants sont conduits quelquefois aussi par le fils du roi d’Enthapat, à qui son père ordonne de chercher de nouvelles contrées et qui vient épouser Nang Nakh dans le pays de Couc Thloc où il bâtit la ville d’Enthapatabouri.

Les populations chams ou tsiams, en possession du sol avant l’arrivée des Khmers, ne cédèrent la souveraineté aux nouveaux arrivants que devant la découverte, à l’endroit désigné à l’avance par Sang Cachac, d’un parasol d’or, indice de la légitimité de son droit.

Ces légendes, qui semblent se contredire et s’exclure, réunissent souvent dans le même récit des événements fort éloignés les uns des autres et enveloppent des mêmes circonstances merveilleuses la venue de la plupart des grands princes cambodgiens. Si, dégageant les souvenirs locaux de toute fable, on essaye de les classer chronologiquement, on arrive au résultat suivant :

D’après les principaux bonzes du royaume, l’ère + 78, usitée au Cambodge, serait la date de l’introduction du bouddhisme sous un très-grand roi nommé Thomea Socrach (Dharma Açoka), qui régna cent ans. Longtemps après lui, l’an 950 de Bouddha, serait venu Prea Ket Melea, qui bâtit Angcor Wat, et à qui succédèrent vers l’an 1000 son fils Prea Chum Sorivong et son petit-fils Prea Thomea Sorivong. Puis vinrent Sang Cachac et le sdach Comlong, dont quelques-uns font un même personnage. Deux rois auraient succédé à celui-ci ; après eux, serait venu Phnhea Krec qui, lorsqu’il eut été couronné, prit le nom de Sin Thop Amarin. Son fils lui succéda, et là se perd la tradition.

Les seuls ouvrages historiques que l’on trouve de nos jours entre les mains des Cambodgiens et auxquels on puisse ajouter une créance sérieuse, ne remontent qu’en 1346 de notre ère, et ne racontent que la décadence de leur empire et de leur civilisation. Il convient donc de rechercher maintenant si les histoires des pays voisins ne nous permettent pas de combler les lacunes des souvenirs indigènes et de fixer les débuts dans l’histoire du peuple cambodgien.


§ 2. — Sources chinoises[2]


On a pu entrevoir, par les quelques citations déjà, faites des traductions d’A. Rémusat,

  1. Je pense qu’il faut voir dans le royaume de Khomerat la ville de Xieng Tong, chef-lieu d’une principauté laotienne située entre la Salouen et le Cambodge, par 21° de latitude nord et dont le nom pali est Khemarata. C’est la ville de Kemalatain des anciens géographes.
  2. Toutes les citations directes d’ouvrages chinois que l’on trouvera dans ce qui suit ont été traduites par M. Thomas Ko. Les recherches qu’il avait entreprises sous ma direction à la Bibliothèque Nationale ont été loin d’ailleurs d’être aussi complètes qu’elles auraient pu l’être. Le temps et les ressources m’ont manqué pour