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remarquable pour suggérer au premier abord l’idée d’un rapprochement entre elle et les Kambojas gréco-bactriens de la littérature hindoue. Je veux parler des Charaï. On s’accorde à les décrire comme des sauvages blancs à type caucasique, et ils paraissent avoir joué jadis un rôle considérable dans le sud de l’Indo-Chine. C’est à eux sans doute que s’appliquent les différentes allusions à des individus blancs que l’on trouve dans les auteurs. Aujourd’hui encore, ils semblent inspirer une sorte de respect superstitieux aux peuples voisins, et l’on affirme que ceux-ci leur envoyaient naguère des ambassades. Ils paraissent gouvernés par deux personnages mystérieux qui s’intitulent, l’un le roi du feu, l’autre le roi de l’eau, et qui conservent avec soin une épée sacrée à laquelle s’attache un pouvoir surnaturel. D’après les missionnaires, la langue des Charaï a beaucoup d’analogie avec le malais ; elle s’écrivait jadis avec des caractères particuliers et possède encore, dit-on, des livres et des recueils historiques que personne, parmi les Charaï, ne peut lire aujourd’hui. Seraient-ce là les débris d’une ancienne émigration venue de l’ouest, qui, après avoir civilisé et dominé pendant quelque temps le mélange des tribus autochthones et des populations mongoles du sud de l’Indo-Chine, se serait isolée de nouveau, en laissant son nom au royaume qu’elle aurait fondé ou agrandi ? C’est là une hypothèse qui ne repose sur aucune observation précise. La couleur de la peau ne serait même qu’une difficulté de plus, si l’on doit admettre, comme cela parait probable, que les Kambojas du N.-O. de l’Inde ne différaient pas sensiblement comme teint des Hindous actuels[1].


§ 4. — Mœurs, ethnographie et philologie de l’ancien Cambodge.


Avant d’essayer de combiner ensemble ces données éparses pour en dégager les principaux faits qui semblent acquis à l’histoire des Khmers, il est nécessaire de donner une esquisse rapide de leurs mœurs, telles que nous les montrent les auteurs chinois.

« Les habitants du Fou-nan, disent les historiens des Tsin, des Liang et même des Thang (loc. cit.), sont de couleur noire. Ils portent les cheveux longs, les entretiennent soigneusement et les relèvent au-dessus de la tête. Ils aiment à aller nus, et ce n’est que depuis Houen-tien qu’ils se voilent les parties, les gens riches avec une étoffe de soie, les pauvres avec une bande de coton. Les femmes se couvrent aussi la tête[2] et portent des bijoux en argent

  1. Dans tous les cas, si ce sont des Charaï qui furent offerts à l’empereur de Chine pendant la période tching-kouan des Thang (627-650) (voy. ci-dessus note 1, page 98), cette séparation aurait eu lieu à une époque très-reculée et incompatible avec les dates données par M. Fergusson. Il serait fort intéressant d’acquérir sur l’écriture et l’histoire des Charaï les notions qui nous manquent et qui, seules, peuvent permettre de tirer une conclusion sérieuse de leur présence en Indo-Chine. Le Dr  Bastian a rapporté par erreur aux Chams ou Tsiams la tradition de la double royauté de l’eau et du feu (op. cit., 1. I, p. 465). Les recherches, que M. Janneau, inspecteur des affaires indigènes, fait en ce moment sur les lieux mêmes, procureront sans doute la solution de ce curieux problème. Je ne puis m’empêcher d’avoir quelques doutes sur la blancheur des Charaï, entendue au moins dans le sens européen du mot. Comme on le verra plus loin, j’incline à les rattacher à la race océanienne de M. Vivien de Saint-Martin et à en faire les débris du peuple qui fonda le royaume de Lin-y ou de Tsiampa.
  2. « Et, dit-on, rien que la tête, ajoutent les historiens des Liang ; ce qui est d’autant plus étonnant, font-ils remarquer avec naïveté, que la tête n’a jamais passé pour une partie honteuse, tandis que ce que les femmes du Fou-nan laissent voir a toujours semblé aux autres peuples devoir être caché. » (Pien y tien, k. 97, fo 2.) Ce ne doit être là sans doute qu’une réminiscence de ce qui se passait du temps de Ye-lieou.