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et des pierres précieuses, ciselés avec art. Les hommes excellent dans ce genre de travaux et dans la fabrication des meubles, des ustensiles domestiques, des vases d’or et d’argent. Ils sont également très-habiles en agriculture, et ne semant qu’une fois par an, savent obtenir deux récoltes. Ils ont le cœur bon et droit. Le crime dont ils ont le plus horreur est le vol[1]. Il y a parmi eux des historiens et des gens adonnés à l’étude ; leur littérature diffère peu de celle des étrangers du nord ( ?).

« Les maisons sont construites en bois et la plupart sont élevées au-dessus du sol, de telle sorte que l’on y jouit d’une vue étendue. Quelques-unes sont petites et basses. Elles sont recouvertes, au lieu de tuiles, de longues feuilles que l’on cueille sur le bord de l’eau et qui ont 8 à 9 pieds de long[2]. Les embarcations mesurent 80 à 90 pieds en longueur, 7 pieds en largeur ; elles ont la forme d’un poisson. »

« Les mœurs de ce peuple sont à peu près les mêmes que celles du Lin-y. Il se plaît aux combats de coqs et de cochons. La prison n’est point d’usage pour les accusés : on les soumet à un jeune de trois jours, puis on leur fait manier une hache rougie au feu ou chercher des anneaux d’or au fond d’un vase d’eau bouillante. On les déclare innocents si leurs mains restent sans brûlures. Une autre épreuve consiste à les enfermer pendant trois jours avec des tigres, des lions ou des crocodiles que l’on conserve dans des canaux de la ville, ou à les jeter dans le fleuve ; s’ils ne sont pas dévorés ou s’ils surnagent, ils sont remis en liberté. »

« Quand on a perdu un parent, l’usage veut que l’on se rase en signe de deuil les cheveux et la barbe. Il y a quatre manières de donner la sépulture aux morts : on les jette dans le fleuve de façon que le courant les emporte ; on les brûle, on les enterre, ou on les expose dans un endroit désert, jusqu’à ce qu’ils soient dévorés par les oiseaux de proie. »

« Les habitants du Fou-nan vont faire des offrandes sur une haute montagne nommée Mi-tan, où l’air est toujours chaud et les arbres toujours verts. Ils déposent sur l’autel de la divinité céleste qui y habite cinq rouleaux de soie de chaque couleur. »

« Ils savent représenter leurs dieux par des statues en cuivre ; quelques-unes ont deux tètes et quatre bras, d’autres quatre têtes et huit bras ; dans chaque main est placé un oiseau, un animal, un enfant, le soleil, la lune, etc.[3] Ce peuple est d’humeur moins guerrière que celui de Lin-y avec lequel il a été si souvent en guerre, que jamais des hommes du Founan n’ont pu parvenir jusqu’à Kiao-tcheou. »

« Les murailles de la ville capitale sont palissadées de troncs d’arbres. Le roi habite dans un palais très-élevé. Quand il sort, il monte sur un éléphant et on étend par terre une étoffe blanche pour qu’il puisse y poser le genou ; pendant qu’il che-

  1. Les Cambodgiens de nos jours sont très-désintéressés et se prêtent une assistance gratuite et vraiment fraternelle pour tous les grands travaux des champs. L’orgueil indomptable qui caractérise cette race, jadis si puissante, aujourd’hui si dégénérée, se joint ici au sentiment de solidarité pour faire repousser à un Cambodgien tout salaire régulier en échange d’une quantité déterminée de travail. Cette répugnance est si forte qu’il préfère devenir esclave pour dettes que de se mettre aux gages d’un patron, quel qu’il soit.
  2. Les feuilles du palmier d’eau qui sert à recouvrir aujourd’hui toutes les maisons en Cochinchine et au Cambodge.
  3. Il est difficile de désigner plus clairement les divinités brahmaniques.