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mine, on fait brûler devant lui des parfums ; la reine se montre aussi en public sur un éléphant. »

Les historiens des Thang sont les derniers qui mentionnent le Fou-nan. « Le roi, disent-ils, s’appelle Kou long ou l’antique dragon. Il habite un palais construit comme une ville et du haut duquel il peut voir partout. Comme tribut, le peuple de ce pays paye des grains d’or et des parfums[1]. »

Les modes variés employés pour donner la sépulture indiquent un mélange de religions ou de races assez compliqué et il faudrait bien se garder de vouloir attribuer à une source unique les anciennes populations du Fou-nan. Aucun des éléments qui les composaient n’était assez prédominant pour imposer aux autres ses usages, et chacun d’eux paraît avoir conservé une liberté d’action qui parait tenir à ces mœurs féodales de clans ou de tribus que nous retrouvons encore si profondément implantées au Cambodge[2].

Nous avons vu que l’aspect de la race cambodgienne actuelle exclut toute idée qu’une proportion notable de sang aryen ait jamais été infusée dans ses veines. Les déductions philologiques confirment hautement ce fait. En combinant au contraire aux indications contenues dans ce qui précède, certaines analogies de race et de langage, on est porté à faire de la race cambodgienne, la race autochthone même du sud de l’Indo-Chine, modifiée successivement, d’abord par une infusion de sang océanien, ensuite par une infusion de sang mongol. Nous admettrions même volontiers que le nom de khmer a été apporté par cette dernière migration et vient du mot Khomerat (voy. p. 98, texte et note 1) ; il aurait ainsi une origine entièrement distincte de celle du nom de Kampouchea ou de Kamboja auquel on peut attribuer, avec MM. Bastian et Fergusson, une origine hindoue. Les indigènes reconnaissent eux-mêmes deux sortes d’anciens Cambodgiens : les uns de race noble, plus blancs que les Cambodgiens actuels, les autres, plus noirs au contraire ; les deux races se perçaient les oreilles. On peut supposer que la seconde de ces deux races représente l’élément autochthone, ce peuple noir, nu, à cheveux longs, décrit par les historiens chinois. L’élément supérieur provient sans doute d’une émigration venue du sud, de Java ou de Sumatra, où se sont développées de très-bonne heure des civilisations remarquables, antérieurement peut-être à toute influence hindoue. Les données philologiques semblent confirmer ces conclusions : le cambodgien moderne établit une transition entre la langue polysyllabique des îles de la Sonde et les langues monosyllabiques de la péninsule. On y retrouve un certain nombre de mots venus du malais et contractés par ce procédé que le cambodgien applique à tous les mots étrangers pour les plier à son génie qui est à coup sûr monosyllabique. Ainsi, quelques parties du corps et certains degrés de parenté ont les

  1. Pien y tien, k. 97, fo 17.
  2. Chaque grand mandarin cambodgien a un certain nombre de clients qui sont exempts d’impôts et de corvées et que l’on appelle Kon khmuoi ; de plus, chaque Cambodgien a le droit de choisir pour patron tel grand dignitaire de la couronne qui lui convient sans que celui-ci puisse s’y opposer, et il se réfugie auprès de lui quand le gouverneur de la province à laquelle il appartient se montre trop exigeant. On désigne l’ensemble de tous ces vassaux sous le nom de « Komlang de tel ou tel mandarin ». Le roi fait souvent appel à l’influence des fonctionnaires sur leurs Komlang respectifs, quand il veut faire des levées considérables de troupes ou de travailleurs.