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Le Cambodge resta étranger aux guerres soutenues par son remuant voisin. D’après quelques traditions, il était engagé alors dans une lutte contre le roi Anauratha, qui régna à Pagan au commencement du onzième siècle[1]. C’est sans doute cette guerre qui a donné lieu à la tradition relative à une invasion birmane, tradition que nous avons rapportée plus haut (Voy. p. 100).

Quelques auteurs ont cru trouver une allusion au royaume du Cambodge dans certains passages des livres singalais lui, vers la même époque, mentionnent les rapports des rois de Ceylan avec plusieurs souverains du continent. Wijaya-Bahou, qui délivra l’île du joug des Malabars, y trouva le bouddhisme dans un tel état de décadence qu’il dut envoyer une ambassade à Anouradha, roi d’Aramana, pour en obtenir un certain nombre de prêtres[2]. Turnour fait d’Anouradha un roi d’Arakan ; mais, un peu plus loin, il fait aussi du roi d’Aramana le roi du Cambodge[3] ; Upham[4] semble faire d’Aramana la ville d’Aramaradise, sur la côte du Coromandel, et Tennent[5] place ce point entre Arakan et Siam. Turnour nomme fréquemment ce dernier royaume, qui serait venu en aide à Wijaya-Bahou et dont l’ambassadeur aurait eu la prééminence à sa cour sur tous les envoyés des souverains étrangers ; mais, dans les parties traduites des livres singalais, le nom de Siam ne se trouve nulle part d’une façon reconnaissable, et j’ignore sur quoi se base l’identification de Turnour. Il est plus que probable que les Thaï, établis dans la vallée moyenne et inférieure, du Menam, reconnaissaient à ce moment la suprématie du Cambodge.

Prakrama, fils et successeur de Wijaya (1153-1186), fit la guerre au roi d’Aramana et le vainquit (1169)[6]. Son neveu (1186) écrivit au souverain de ce même État une lettre en

  1. Cf. Burney, J.A.S.B., t. IV, p. 404 ; Bastian, op. cit., t. I, p. 520 et 537. Un récit laotien, recueilli par M. de Lagrée, confirme ce que l’on sait déjà du zèle d’Anauratha pour la restauration du bouddhisme et lui attribue l’établissement de la petite ère ou Cholla Socrach. D’après ce récit, Anauratha aurait envoyé à Ceylan deux bâtiments chargés de présents magnifiques pour demander une copie des livres sacrés et la célèbre statue de Bouddha, appelée Pha Keo, qui était l’œuvre d’Indra. Pendant le voyage de retour de ces deux bâtiments, une tempête s’éleva et les jeta sur la côte du royaume d’Enthapat. Anauratha se rendit alors au Cambodge sur un cheval ailé et, se donnant comme un simple envoyé du roi des Mans (nom que les Laotiens donnent aux Birmans), il réclama les livres et la statue. Il n’obtint que les livres. Cette version semble infirmée par l’histoire singalaise et par l’histoire birmane. Ce fut au Pégou et non à Ceylan qu’Anauratha s’adressa pour obtenir des prêtres et des livres bouddhistes. Voy. Mason, op. cit., p. 44.
  2. Je vais citer les passages mêmes des livres singalais qui mentionnent cette ambassade : « Le roi Mahaloo Wijayaba, voyant qu’il n’y avait pas cinq prêtres s’acquittant des devoirs de la religion dans toute l’île, envoya cent mille pierres précieuses à son ami Anouradha, roi étranger, pour en obtenir vingt prêtres… (Mahavansi, ch. LX, trad. Upham, t. I, p. 253)… Il n’y avait pas cinq bons teroonancees… le roi appelé Wijaya Bahu Maha rajah envoya des présents splendides en perles et en diamants au roi de la contrée nommée Aramana, pour lui demander que vingt-neuf teroonancees instruits fussent envoyés à Ceylan avec leurs livres. » (Raja Ratnacari, trad. Upham, t. II, p. 85-86.) Le Rajavali (même ouvrage, t. II, p. 252) répète la même chose et porte à vingt le nombre des prêtres envoyés.
  3. Voy. An epitome of the history of Ceylan, p. 39 et 41.
  4. The sacred and historical Books of Ceylan, t. I, Mahavansi, ch. LX, p. 253.
  5. Ceylon, t. I, p. 406, note I.
  6. Je cite comme précédemment les passages mêmes des livres singalais : « Le roi Parackrama Bahoo envoya, la 16e année de son règne, plusieurs expéditions sur le continent… cinq navires se dirigèrent vers Aramana, et jetèrent l’ancre à Koosuma. Les Singalais battirent les ennemis, dont le roi fut tué pendant le combat. Le (commandant en chef des forces du roi Parackrama Bahoo fit le tour de la capitale ennemie, monté sur un