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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/162

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Une remarque analogue à la précédente doit s’appliquer peut-être au mot Zabedj lui-même, dont la ressemblance avec Cambodja a pu occasionner des méprises. Massoudi semble indiquer qu’au commencement du dixième siècle de notre ère le Zabedj et le Senf obéissaient au même souverain. Abou-Dolaf, cité par Reinaud, dit que, vers 940, le roi de Senf dominait sur les contrées environnantes[1]. Il nous paraît probable que Zabedj désigne ici le Cambodge, et non Java.

Albirouny, qui écrivait moins d’un siècle après, dit que Comayr est le nom d’un peuple aux oreilles percées dont la couleur tire vers le blanc[2], qui est petit de taille, ressemble pour la figure aux Turks, et professe la religion des Indiens. Enfin Edrisi, dont la géographie date du milieu du douzième siècle, mentionne les relations de langage et de commerce qui existaient entre l’archipel d’Asie et la côte d’Afrique, et Ibn-zaid ajoute que les Malais, nommés pour la première fois par Edrisi, ne sont qu’une fraction de la grande nation des Comr, qui, sortie du plateau de la Tartarie, est venue peupler les îles. Il y aurait lieu sans aucun doute de revenir sur les interprétations qui ont été faites de quelques-uns de ces passages ; on pourrait en déduire peut-être quelques indications ethnologiques d’une portée réelle.

Pendant tout le dixième et le onzième siècles, le royaume de Senf — le Tchen-tching des auteurs chinois, et le Lam-ap des Annamites — fut en lutte avec ceux-ci, et il est assez facile de retrouver dans leurs annales les faits principaux de son histoire[3].

    dû exercer une influence que le manque d’espace et surtout mon peu de compétence m’empêchent d’étudier ici. Je me contenterai d’indiquer les auteurs qui ont, de près ou de loin, abordé quelques parties de cette étude : Baslian, op. cit., t. I, p. 459 ; Yule, J. A. S. B., 1861, p. 1-15. Les conclusions de cet article intitulé : Ancient Javenese remains me paraissent poser d’une façon très-nette l’un des problèmes à résoudre. Voyez aussi J. R. A. S., novembre 1869, Some account of the Senbyu pagoda.

  1. Massoudi, op. cit., t. I, p. 341-3. Reinaud, introduction de la Géographie d’Aboulféda, p. cdxvi.
  2. Il faut tenir compte, pour l’appréciation de la couleur de ces peuples, de la nationalité de l’écrivain ; l’Arabe au teint foncé doit trouver blanc ce que le Chinois au teint pâle décrira comme brun.
  3. Les Annamites avaient profité des troubles qui marquèrent la fin de la dynastie des Thang pour reconquérir leur indépendance ; mais les chefs indigènes qui remplacèrent les gouverneurs chinois se firent longtemps la guerre entre eux, et le royaume de Lin-y ou de Tchen-tching paraît avoir profité souvent de ces discordes intérieures pour envahir le Tong-king ; en 979, le roi de ce pays, nommé Ba-mi-thue-du’ong-bo-an-tra-loi, fit prendre la mer à plus de mille galères de guerre et les dirigea sur les deux embouchures de Dai-a et Thieu-khang pour aller attaquer la ville de Hoa-lú, capitale de l’An-nam ; un coup de vent dispersa sa flotte et noya ceux qui la montaient. En 981, le successeur du roi Ba-mi, nommé Xa-loi-da-ban-viet-hoan, ayant retenu prisonniers les ambassadeurs annamites, fut attaqué et vaincu par le roi annamite Le-bang. Il dut abandonner sa capitale qui fut détruite et rasée, et il laissa aux mains du vainqueur des trésors immenses, un bonze indien et cent de ses femmes. C’est évidemment cet événement auquel fait allusion le moine chrétien de Nadjran, qui fut envoyé en mission en Chine vers l’an 980, quand il dit que le roi de Loukyn venait à ce moment d’envahir le royaume de Senf et d’en prendre possession (Reinaud, Géographie d’Aboulféda, introduction, p. cdxvi). La coïncidence des dates est très-remarquable et ne saurait, il me semble, laisser de doute que le pays de Loukyn des auteurs arabes ne soit le Tong-king.

    Quarante années s’écoulèrent avant que le royaume de Tchen-tching pût entreprendre de nouveau quelque chose contre ses voisins annamites. En 1020, l’armée de Tchen-tching vint attaquer le Bo-chinh, province qui sépare aujourd’hui la Cochinchine du Tong-king ; elle fut repoussée, et le roi annamite Ly-cong-uan établit le poste militaire de Phan-trai comme limite des deux royaumes ; quelques années après, le roi de Tchen-tching réussit à semparer de Phan-trai. En 1042, une nouvelle guerre est mentionnée entre l’An-nam et le Tchen-tching (Voy. P. Legrand de la Liraye, loc. cit., p. 75-80).