Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

les navires. Là se trouvait le port appelé Bassac par les Cambodgiens et les écrivains européens du seizième siècle, et dont le nom annamite actuel est Ba-tac.

Le fils aîné d’Ang Chan, Prea Borom Reachea, lui succéda ; il adopta, au début de son règne, une politique exclusivement pacifique, et envoya successivement deux ambassades au roi de Siam et à son fils Naret pour les assurer de son alliance. Il leur fournit en 1568 une armée auxiliaire composée de 10,000 hommes, 100 éléphants et 300 chevaux, pour les assister dans la lutte qu’ils soutenaient contre le Pégou et le royaume de Xieng Mai. Mais une injure faite par Naret au frère de Prea Borom Beachea, à qui avait été donné le commandement de cette armée de secours, réveilla les rancunes un instant assoupies. Le roi du Cambodge envahit en 1570 le Siam, et s’empara de Prachim et du pays de Reach Sema (Korat)[1] ; il fut aussi heureux l’année suivante contre les Laotiens, qu’il défit sur terre à Preasop, dans la province de Compong Soai, et dont les barques de guerre furent détruites par la flottille cambodgienne aux environs de Stung Treng. Prea Borom Reachea mourut en 1576. C’est sous son règne que les ruines d’Angcor furent visitées par les Portugais et les Espagnols. Les descriptions qu’ils en ont laissées les représentent dans un état complet d’abandon. Un grand nombre d’aventuriers, non-seulement européens, mais encore malais, japonais, annamites, chinois, paraissent jouer à ce moment un rôle actif au Cambodge. Il semble que la race indigène n’ait plus en elle assez de ressort pour subsister politiquement et qu’elle soit obligée de recourir à une activité étrangère.

Prea Borom Reachea fut remplacé par son fils Prea Sotha, qui prit le même titre que son père. Au bout de neuf ans de règne, Prea Sotha associa à la couronne ses deux fils Prea Chey Chesda et Chau phnhea Ton. Mais la prospérité dont le Cambodge jouissait depuis près de trois quarts de siècle touchait à sa fin : le roi de Siam, Phra chao Naret, après avoir secoué le joug des Pégouans et établi solidement son autorité, songea à se venger des humiliations que le Cambodge avait fait subir à sa patrie sous le règne de Prea ang Chan. D’après les annales siamoises, il envahit ce royaume en 1581, à la tête d’une armée de 100,000 hommes, s’empara de Pursat et de Battambang et mit le siège devant Lovec, mais il fut obligé de se retirer au bout de trois mois, En 1585, il revint avec des forces encore plus considérables, attaqua le Cambodge par terre et par mer, battit l’armée cambodgienne qui était commandée par le frère du roi, et s’empara de Lovec à la faveur d’une révolte suscitée par un des neveux du roi du Cambodge. Ce dernier événement, d’après la chronique cambodgienne et les témoignages européens, doit être rapporté à l’année 1593 et non à 1585. Naret avait fait le serment de se laver les pieds dans le sang de son ennemi, et, d’après les annales siamoises, il tint rigoureusement parole. La chronique cambodgienne dit que le roi, devant l’invasion siamoise et la révolte de son neveu, s’enfuit au Laos avec ses fils[2] et les historiens espagnols, qui mentionnent le concours prêté par le gouverneur

  1. Reach sema ou Nocor Reach sema est indiqué sur la carte de la Loubère sous le nom de Corazema, devenu aujourd’hui par abréviation Korat. Cf. Chinese repository, t. VI, p. 324.
  2. Probablement sur les frontières du Laos, à Stung Treng, où se trouvait une résidence royale et où Wusthof mentionne le séjour vers la fin du xvie siècle d’un roi cambodgien. Cf. le Chinese repository, t. VI, p. 326 et 396 ; Janneau, Manuel pratique de la langue cambodgienne, 2e partie, p. 85, et Fr. Garnier, Chronique royale du Cambodge J. A., 1871, p. 354-355.