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tent les versants extérieurs de ce massif faisaient çà et là leur apparition. Nous vîmes quelques-uns d’entre eux arriver en même temps que nous à la pagode-caravansérail de Solo Niai, avec un chargement d’orties de Chine et de peaux. Sur les contre-forts ouest du massif, Mouhot avait signalé l’existence de mines d’argent, et tous mes efforts, tous ceux de Renaud, mon interprète en cambodgien, tendirent à obtenir quelques renseignements précis sur le lieu de leur gisement. Après beaucoup de pourparlers, nous crûmes comprendre que notre mandarin laotien se faisait fort de nous conduire à un village kha (kha est l’appellation générique des sauvages en laotien), où l’on exploitait le précieux métal. Nous prîmes acte de sa promesse, et nous remîmes cette excursion à notre retour des cataractes du Se Don.

À peu de distance de Solo Niai, la rivière se bifurque en deux bras étroits. Nous nous engageâmes le 5 octobre au matin dans le bras de l’ouest, mais nous fûmes arrêtés presque aussitôt par une petite chute de 2 mètres de hauteur, formée par deux assises rocheuses aussi horizontales et aussi régulières que deux marches d’escalier. Nous mîmes pied à terre et nous nous dirigeâmes vers la partie nord de l’île qui forme les chutes. Nous y étions arrivés à midi. Le coup d’œil en est des plus pittoresques. Le Se Don vient directement du nord se heurter à la pointe aiguë que lui oppose la masse rocheuse de l’île, et ses eaux, divisées par cet obstacle, retombent des deux côtés en cascades. Dans le bras de l’est, elles se précipitent d’une hauteur verticale de 15 mètres, partagée en deux ou trois gradins par des saillies de rocher d’un effet pittoresque, dans un bassin circulaire à parois de lave ; dans le bras de l’ouest, elles coulent torrentueusement sur une pente, inclinée à 45 degrés environ, que coupent çà et là d’énormes blocs de rochers et des aiguilles basaltiques contre lesquelles l’onde s’élève en bouillonnant.

Le 6 octobre, nous redescendions le Se Don jusqu’à Ban Song, village situé à environ trois lieues de l’embouchure. Nous y reçûmes une confortable hospitalité dans la maison du Muong Khang ou troisième fonctionnaire dans l’ordre administratif de la province de Bassac. Ce mandarin était absent, mais on devait mettre ses éléphants à notre disposition pour aller visiter les exploitations d’argent qui se trouvaient, disait-on, au pied des premiers contre-forts montagneux de l’est.

Le lendemain, en effet, trois de ces nobles animaux, rappelés des pâturages, stationnaient devant la plate-forme de la maison, et, à 10 heures et demie, nous nous mettions en route. La monture de M. Thorel et la mienne étaient des femelles, et chacune d’elles était suivie d’un petit en bas âge. Le plus jeune avait un an à peine, le plus âgé en avait trois : le premier était de la taille d’un buffle, le second était sensiblement plus haut. Ils n’avaient point encore la gravité qui est particulière à leur race, et leurs gambades folâtres nous égayèrent beaucoup pendant toute la route. Ils se poursuivaient jusque dans les jambes de leurs mères, qui suivaient d’un œil complaisant et attentif les évolutions de leurs nouveau-nés. Quand ils s’éloignaient trop et que, par une excursion trop hardie dans les champs de riz voisins, ils risquaient de s’attirer la colère et les coups des cornacs, un cri de la mère les rappelait bien vite : les enfants indociles accouraient aussitôt, caressaient un instant les mamelles maternelles du bout de leur