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plaindre des habitudes de mensonge et de fourberie qu’il rencontra chez les autorités laotiennes de la vallée du Se Cong. À Attopeu il dut lutter plusieurs jours contre le mauvais vouloir de l’entourage du gouverneur. On voulait le forcer à passer par la province de Khong pour s’en retourner à Bassac, ce qui naturellement allongeait beaucoup la route à faire. Ce ne fut qu’au bout de cinq jours, et après avoir été obligé d’employer la menace, qu’il obtint les moyens de transport et l’itinéraire qu’il jugeait convenables.

Pendant son séjour à Attopeu, M. de Lagrée fut pris d’un violent accès de fièvre qui donna un instant de vives inquiétudes à ses compagnons.

Malgré l’importance de la situation commerciale d’Attopeu, aucun Chinois n’y a fixé sa résidence, en raison, dit-on, de l’insalubrité du pays. On y trouve quelques colporteurs birmans qui vendent des pierres brillantes et de la verroterie venues d’Europe. On y fabrique des étoffes de coton à dessins variés.

M. de Lagrée repartit d’Attopeu le 28 novembre ; il descendit le Se Cong en barque jusqu’à Tapac. En ce point, la rivière a 150 mètres de large, ses berges sont très-hautes, et, d’après les indigènes, le niveau de l’eau s’élèverait au mois de septembre, époque des grandes crues, à 12 mètres au-dessus du niveau actuel.

Les voyageurs quittèrent à Tapac les rives du Se Cong, pour faire route directement à l’ouest sur Bassac. S’ils avaient continué à descendre la rivière, deux autres routes se seraient présentées à eux : l’une, partant du rapide appelé Keng Phao, l’autre, de Sieng Pang, et toutes deux aboutissant, après deux jours de marche, aux environs de Khong. La dernière de ces deux routes est praticable pour les chars, et les indigènes lui attribuent une longueur de 1,900 sens[1].

La caravane française se composait de sept éléphants, de quinze Laotiens et de quarante-trois sauvages ; cette nombreuse escorte était rendue nécessaire par les voleurs qui infestaient, disait-on, les forêts que l’on allait traverser.

Le 30 novembre, l’expédition traversa une rivière presque aussi considérable que le Se Cong, le Se Pean, dont la largeur est d’une centaine de mètres, la profondeur d’un mètre, et dont le courant rapide est difficile à franchir au moment des pluies. Le Se Pean se jette dans le Se Cong, un peu au-dessus de Keng Phao.

Le lendemain, les voyageurs traversèrent le Se Compho, affluent du Se Pean, à son confluent avec le Huei Keua, ou « ruisseau de sel, » dans le lit desséché duquel des sauvages recueillaient des efflorescences salines. Le Se Compho a de 60 à 80 mètres de large et ses eaux n’offrent pendant la saison sèche qu’une profondeur moyenne de 50 centimètres. Le Huei Keua a une largeur de 30 à 40 mètres et ne roule qu’une mince nappe d’eau. Le Se Compho forme la limite des provinces d’Attopeu et de Bassac. Au delà, le sous-sol de la contrée est formé de roches d’une nature poreuse et de nombreuses flaques d’eau apparaissent çà et là dans les dépressions du terrain. Un arbre de la famille des myrtacées, le Careya arborea[2], domine dans toute

  1. Le sen vaut environ 38 mètres, ce qui donne à la route dont il est question un développement de 72,200 mètres.
  2. Le nom cambodgien de cette essence est Rang ; les Annamites rappellent Vu’ng.