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SÉJOUR A BASSAC.

nombre d’entre elles ne sont sans doute que les débris des anciens regnicoles du Tsiampa. Dans la province d’Attopeu, le nombre des Laotiens inscrits n’est que de 1,000 environ, alors que l’on peut évaluer à 8,000 par le chiffre de l’impôt, le nombre des sauvages inscrits. Ces chiffres feraient ressortir une population de 6,000 Laotiens environ, contre un total de 36,000 sauvages[1]. On a conservé dans le pays le souvenir d’une révolte terrible dont la répression a exigé les plus vigoureux efforts. Vers 1820, un bonze laotien se disant inspiré, souleva les sauvages, s’empara de toute la contrée et saccagea Attopeu, Saravan et Bassac.

Des tribus complètement indépendantes habitent, à l’est d’Attopeu, la région montagneuse qui sépare la vallée du Cambodge de la Cochinchine. Les Laotiens les désignent sous l’appellation générale de Khas Cat ou de Khas Haï. (Haï signifie en laotien, mauvais, méchant. Cat dérive d’une expression cambodgienne qui a la même valeur.) Ces tribus ne souffrent l’approche d’aucun étranger et n’ont de relations qu’avec les tribus soumises. Il ne paraît plus y avoir aucun Cambodgien dans la vallée de Se Cong, où Wusthof signalait encore au milieu du dix-septième siècle l’existence de cet élément de population. L’ancienne domination des Khmers n’est plus attestée que par la profonde empreinte qu’elle a laissée dans le langage des tribus sauvages, et par quelques ruines, peu importantes, disséminées aux environs de Sieng Pang et d’Attopeu.

La province d’Attopeu paye entièrement son impôt à Siam en poudre d’or. Ce sont les sauvages qui se livrent à l’exploitation des sables aurifères que charrie le Se Cong. Les Laotiens se procurent par voie d’échange la quotité de leur impôt. Cet impôt est de trois anching[2] d’or pour les Laotiens et de six pour les sauvages, et il équivaut environ à 28,771 francs de notre monnaie. Du temps de Wusthof, Attopeu s’appelait Namnoy et payait au roi du Laos un impôt de six kilogrammes d’or, c’est-à-dire d’une vingtaine de mille francs[3]. On voit que depuis cette époque la production a augmenté ou que les exigences des gouvernants sont devenues plus grandes. C’est aux eaux basses, après la moisson, que les villages viennent s’établir pendant un mois ou deux sur les îles ou les atterrissements du fleuve pour le lavage des sables aurifères. Ce travail ne rapporte guère que 50 ou 60 centimes par jour et par travailleur ; il serait plus rémunérateur si l’on pouvait remonter plus près des sources des rivières ; mais les tribus insoumises interdisent à tous l’accès de leurs montagnes.

Attopeu, comme on l’a déjà vu, est le centre du commerce des esclaves. M. de Lagrée et ses compagnons restèrent frappés de la frayeur qu’éprouvent les sauvages soumis, à la vue seule d’un étranger : aucun d’eux n’ose voyager isolément ou s’écarter de son village. Il n’est point étonnant qu’un pareil trafic ait développé les plus mauvais instincts chez les populations laotiennes qui s’en rendent coupables. M. de Lagrée eut vivement à se

  1. Je prends quatre et demi pour le chiffre moyen d’individus composant une famille, ou fournissant un inscrit. Le surplus de 1,500, ajouté à la population laotienne, pour arriver, à l’aide de cette multiplication, au chiffre de 6,000, représente les mandarins, leurs esclaves, leurs familles, et les bonzes, qui sont exempts d’impôt.
  2. L’anching vaut quatre-vingts ticaux.
  3. Voy. ci-dessus, p. 143, et le Bulletin de la Société de Géographie, sept-oct. 1871, p. 256.