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VOYAGE À PNOM PENH.

distance de la citadelle, et dans l’intérieur de celle-ci, le bruit du gong et du tamtam, successivement répété par tous les corps de garde, va marquer à de réguliers intervalles les veilles de la nuit.

Alexis n’avait pas encore paru à Siemréap, quoiqu’il y eût plus d’un mois qu’il fût parti de Bassac pour cette destination. Le gouverneur d’Angcor me reçut à merveille et me donna, ainsi qu’à mon escorte, la plus confortable hospitalité. J’avais hâte d’apprendre de lui des nouvelles de la colonie et du Cambodge. Elles étaient bien différentes de ce qu’on m’avait annoncé à Coucan. La révolte de Pou Kombo avait pris des proportions de plus en plus grandes. Les provinces de Compong Soai et de Pursat s’étaient soulevées. Norodom avait été cerné à Pnom Penh, et il avait fallu que les troupes françaises livrassent un grand combat pour le dégager. Les entrées du lac, Compong Leng et Compong Tchanang, étaient gardées par les rebelles, et quand je parlai de continuer ma route jusqu’à Pnom Penh, le gouverneur d’Angcor se récria vivement. Mais je n’étais pas venu de si loin pour rebrousser chemin sans rapporter le courrier attendu. Je déclarai donc à mon hôte que ma résolution était inébranlable et que je tenterais de passer à tout prix. Je lui donnai même cette déclaration par écrit pour qu’on ne pût le rendre en rien responsable des conséquences de ma décision. Je le priai aussi d’expédier au commandant de Lagrée une lettre, qui informait le chef de l’expédition de l’état des choses et du parti auquel je m’arrêtais.

Ces précautions prises, je m’occupai de mes préparatifs de départ. Le gouverneur m’offrit pour la traversée du lac, une grande et forte barque qui lui appartenait. Il n’y avait pas à songer à recruter mes bateliers parmi les Cambodgiens : les sympathies des gens de la province étaient pour Pou Kombo et je pouvais trouver un traître parmi eux. Je préférai m’adresser aux Annamites qui résident à Siemréap et qui se livrent à la pêche sur le lac. Je trouvai parmi eux, grâce à la promesse d’une forte récompense, un équipage adroit, méprisant fort les Cambodgiens par habitude, et rendu courageux par la présence de Français bien armés. Je dus aller chercher la barque du mandarin de Siemréap à Compong Plouk, petit village situé près de l’embouchure d’une petite rivière, qui vient se jeter dans le Grand Lac, à l’est de la rivière d’Angcor. Nous passâmes la nuit à la gréer avec soin ; je me munis de haches, pour couper les estacades qui pourraient nous barrer le passage, de torches, de combustibles, en un mot de tous les ustensiles nécessaires, et, le 2 février, nous nous lançâmes sur le lac dont nous côtoyâmes la rive orientale. À la tombée de la nuit, nous passions devant Compong Kiam, dont la rivière sert de limite aux provinces d’Angcor et de Compong Soai. Nous entrions dans les eaux ennemies.

Le lendemain, comme nous nous étions engagés, pour laisser reposer nos Annamites, dans la forêt noyée qui couvre les bords du lac, on vint me prévenir que deux barques armées, venant du large, se dirigeaient de notre côté. Examinées à la longue-vue, elles me parurent être, en effet, des barques de guerre : plumes de paon et pavillon rouge à la poupe ; lances, fusils et hallebardes plantées à l’avant de la chambre. Je fis cacher tout mon monde et préparer les armes. On pouvait nous prendre pour une simple pirogue de pêche, montée par des Annamites seulement. À grande portée de voix, je fis héler par