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M. Duyshart avait été parfaitement accueilli à Luang Prabang, et il avait reçu de nombreux cadeaux du roi. En sa qualité d’envoyé officiel du roi de Siam, il vivait aux dépens des populations qu’il traversait. Son étonnement fut grand quand il apprit que nous payions scrupuleusement tous les services qu’on nous rendait. Il me laissa entrevoir que, quoique accoutumé à la manière de faire des Asiatiques, les exactions et les abus de pouvoir du mandarin siamois qui l’accompagnait, lui paraissaient souvent exorbitants.

En échange de ses intéressants renseignements, je donnai à M. Duyshart quelques indications sur la route qu’il allait suivre et les latitudes des principaux points par lesquels il allait passer en descendant le fleuve. Il voulut bien se charger de remettre nos lettres et nos plis officiels au consul de France à Bankok ; et il s’est acquitté scrupuleusement de cette mission. Grâce à lui, la carte de notre voyage jusqu’au point où nous l’avions rencontré, parvint quelques mois après à Saïgon, où elle fut immédiatement publiée. C’est ce croquis qui fit connaître en Europe les premiers résultats géographiques de notre exploration.

Depuis mon retour en France, je n’ai pu retrouver aucune trace des travaux de M. Duyshart ; leur publication eût été fort utile pour reconstruire la carte de la vallée supérieure de la branche orientale du Menam. Il est possible que le gouvernement siamois, qui n’avait fait entreprendre ce voyage que dans le but de contrôler nos propres assertions et de pouvoir discuter en connaissance de cause la question toujours pendante de ses véritables limites du côté du Cambodge et de la grande chaîne de Cochinchine, ait cru devoir garder entièrement pour lui les renseignements rapportés par son géographe en titre. Peut-être aussi M. Duyshart a-t-il succombé aux fatigues de son voyage. Il serait regrettable dans ce cas que ses notes et ses observations ne fussent point tombées entre les mains de personnes qui puissent en tirer parti.

À une heure et demie, je pris congé de M. Duyshart, dont le radeau se remit aussitôt en marche. Sa rencontre, les renseignements qu’il nous donnait sur le haut du fleuve, étaient certainement l’événement le plus considérable du voyage depuis notre départ de Saïgon. Le cercle de nos connaissances dans le nord de la vallée du Cambodge se trouvait sensiblement élargi ; mais nous pouvions prévoir déjà de graves difficultés au delà de Xieng Khong.

Le soir du même jour, nous franchissions les limites du royaume de Luang Prabang. Nous nous trouvions au commencement du rapide appelé Keng Sao. Le fleuve, qui en cet endroit a plus d’un kilomètre de large, présentait un aspect assez semblable à celui qu’il nous avait offert au-dessus de Sombor. Des brousses submergées, des îlots et des roches encombraient son lit d’une rive à l’autre, et nous dûmes le lendemain nous servir plusieurs fois de cordes pour faire passer à nos barques les points les plus difficiles de la route sinueuse qu’il faut suivre au milieu de tous ces obstacles.

Un peu au-dessus de Keng Sao, le lit du Cambodge se rétrécit et se nettoie un peu. Les collines se rapprochent encore une fois des rives et enferment entre deux parois de roches toutes les eaux du fleuve. Les maisons de Pak Lay apparaissent au milieu des grands arbres qui bordent la rive droite. Au pied de la berge, qui avait à ce moment une