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quinzaine de mètres d’élévation au-dessus du niveau de l’eau, s’étend devant le village un long banc de sable sur lequel avaient été construites quelques grandes cases en bambou, pour recevoir M. Duyshart, le mandarin siamois qui l’accompagnait et les gens de leur suite. C’était là une installation toute prête dont nous nous empressâmes de profiter, quand, le 17 avril, à dix heures du matin, nous débarquâmes à notre tour à Pak Lay.

Le village, construit en pleine forêt, présente une physionomie différente de celle que nous étions accoutumés à rencontrer. Pas de palmiers aux environs des cases, et les rizières, qui partout ailleurs touchent les dernières maisons, sont ici fort éloignées dans l’intérieur ; le pays, plus accidenté, offre peu de plaines pour cette culture. La forêt elle-même revêt un aspect plus sévère et des teintes plus sombres. Le dzao, ce magnifique arbre à huile, qui sert dans le sud à construire des pirogues, a disparu ; de nombreuses essences nouvelles font leur apparition.

Les habitants paraissaient d’un naturel plus réservé, et étaient loin de nous témoigner la curiosité indiscrète dont nous avions eu à subir jusque-là les importunités. Il est vrai qu’ils étaient déjà familiarisés avec les figures européennes. Il y avait six ans que Mouhot avait passé à Pak Lay, venant de Muong Leui et de Bankok.

Une route assez bonne longe la rive droite du fleuve, entre Pak Lay et Luang Prabang. Ce fut celle que suivit Mouhot. Elle était fréquentée jadis par les caravanes chinoises, qui partaient chaque année du Yun-nan et se dirigeaient en partie sur Ken tao, et en partie sur Muong Nan et Xieng Mai. Cette caravane annuelle, composée d’une centaine de personnes et de deux ou trois cents chevaux ou bœufs porteurs, venait échanger des ustensiles de cuivre et de fer, de la passementerie, de la soie grége et du fil d’or, contre du coton, de l’ivoire, des cornes de cerf et de rhinocéros, des plumes d’oiseaux et des crevettes séchées qui, sur les marchés de Xieng Mai et de Muong Nan, proviennent de Moulmein. Depuis les guerres qui ont désolé le sud de la Chine et la rive gauche du Mékong, ce trafic a complètement cessé et on ne rencontre plus sur cette route que quelques colporteurs pégouans. Xieng Mai et Muong Nan communiquent aujourd’hui avec le Yun-nan par la voie plus commode de Xieng Tong, que le voyage du lieutenant, aujourd’hui général Mac Leod, accompli en 1837, n’a pas peu contribué à faire suivre.

Le fleuve n’est pas entièrement abandonné comme moyen de transport entre Luang Prabang et le Laos méridional. Il sert de route à un commerce local qui est loin, il est vrai, d’avoir l’importance du précédent. Les radeaux sont les seules embarcations usitées par les commerçants ou les voyageurs pour redescendre le courant. Les pirogues de cette zone sont trop petites pour recevoir des marchandises d’une nature aussi encombrante que les nattes et les poteries que Luang Prabang expédie dans le sud.

Nous congédiâmes à Pak Lay les barques de Xieng Cang, et le chef du village déploya la plus grande activité pour nous en faire préparer de nouvelles. Il fallut sept pirogues du village pour remplacer les cinq qui nous avaient amenés. Elles furent prêtes en quarante-huit heures, et le 19 avril au matin nous nous remîmes en route.

Jusqu’à Luang Prabang, et même jusqu’à Xieng Khong, l’ascension du fleuve ne pouvait plus avoir le côté imprévu que nous avait offert notre voyage de Houtén à Pak Lay :