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Muong Yong est situé sur les dernières pentes des montagnes qui limitent à l’ouest la vallée du Nam Ouang. Une enceinte en terres levées, défendue par un fossé où coulent les eaux du Nam Khap, affluent du Nam Ouang, entoure cette ancienne capitale d’un royaume autrefois puissant. Nous franchîmes le fossé sur un pont en bois ; au delà, une sorte de grande esplanade, couverte de beaux arbres, s’élève en pente douce jusqu’à une pagode autour de laquelle se groupent les premières maisons du village ; à droite de l’esplanade est le sala.

Nous y étions à peine installés qu’un petit mandarin se présenta à moi et m’invita à le suivre dans la maison commune où se traitent les affaires publiques. J’essayai de lui faire comprendre que je n’étais que le second et non le chef de l’expédition ; que ce dernier avait été rendre visite au Tât situé à peu de distance et que je l’attendais d’un moment à l’autre. L’interprète était avec lui et il n’était possible de se comprendre et d’entrer en pourparlers sérieux qu’avec son concours. Ces raisons ne satisfirent pas l’officier indigène : il revint peu après accompagné de deux soldats birmans, armés de sabres, et il m’intima de nouveau, et très-brutalement, l’ordre de le suivre. Je répondis par un refus non moins formel. Ses acolytes prirent alors un air menaçant et mirent la main sur la poignée de leurs sabres ; je leur tournai le dos et j’ordonnai au sergent annamite de les mettre à la porte du Sala.

M. de Lagrée arriva quelques heures après ; je l’informai de ce qui s’était passé. Il approuva ma conduite. Le lendemain, d’assez bonne heure, on vint le prévenir que le fonctionnaire birman se rendait à la réunion des mandarins et l’invitait à venir l’y rejoindre. M. de Lagrée envoya son interprète Alévy pour s’assurer de la nature de l’entrevue à laquelle on le conviait. Celui-ci revint peu après tout ému, disant que nous avions affaire à un bien méchant homme : le Birman avait refusé d’entrer en explications avec lui et avait menacé de nous refuser passage et de nous renvoyer immédiatement d’où nous étions venus. Nous nous rendîmes alors au Sala, avec quelques hommes en armes : l’accueil du Birman fut plus poli que ces préliminaires ne pouvaient le faire prévoir ; il demanda au commandant de Lagrée de ses nouvelles et de celles de l’empereur des Français ; puis il le questionna sur le but de son voyage, et sur les passe-ports dont il était muni. M. de Lagrée exhiba alors la seconde lettre qu’il avait reçue de Xieng Tong. « Cette lettre, dit le Birman, vous invite à passer par cette ville. Pourquoi n’y allez-vous pas ?

— La route est trop longue et nous avons un trop grand nombre de malades.

— Attendez alors une dizaine de jours, que je puisse recevoir des instructions de Xieng Tong.

— Il m’est impossible de consentir à ce délai, répliqua le commandant. Nous sommes tous très-fatigués et nous avons besoin d’arriver au fleuve. »

Après une longue discussion et l’insinuation faite par M. de Lagrée qu’il aurait à envoyer quelques présents au Birman de Xieng Tong et à son subordonné de Muong Yong, il ne fut plus question que d’un repos de trois ou quatre jours. Nous sortîmes, croyant tout arrangé.