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Le lendemain, nous fîmes une visite officielle au gouverneur laotien de Muong Yong, qui porte le titre de roi, seul reste de la splendeur passée de cette ville. Quoique dépendant aujourd’hui du royaume de Xieng Tong dont les habitants, comme je l’ai déjà dit, s’appellent Kuns, la population de Muong Yong est composée de Lus, c’est-à-dire de gens de la principauté d’Alévy. Le roi de Muong Yong n’a aujourd’hui aucune influence et aucune force. Le commandant de Lagrée lui adressa pour le surlendemain une demande de trente-huit porteurs. En sortant de cette première audience, nous allâmes, M. de Lagrée et moi, chez le Birman, qui était logé avec tout son monde (huit soldats birmans) dans de petites cases assez mal construites, auprès du marché du village. Son accueil fut très-cordial ; sa femme, jeune Birmane fraîche et jolie, assistait à la conférence et paraissait jouir d’une assez grande influence sur l’esprit de son mari. La conversation fut très-animée et le Birman y affecta des dehors de sincérité et d’amitié qui purent un instant nous faire illusion. Il nous dit d’un ton confidentiel : « Vous venez du Laos et de Siam qui sont en désaccord avec nous, vous n’avez pas de lettre d’Ava ; voilà pour nous bien des motifs de suspicion. Maintenant que je suis sûr de votre nationalité française, je ne mettrai plus aucun obstacle à votre passage ; mais si vous aviez été Anglais, vous n’auriez certes pas continué votre route. Vous avez à craindre, du reste, bien d’autres difficultés : prenez garde aux Chinois ; ils ne vous aiment pas et je serais fort étonné s’ils vous laissaient passer. »

Le 10 au matin, au milieu de nos préparatifs de départ, le Birman fit appeler Alévy et lui dit que, toutes réflexions faites, il ne pouvait pas nous laisser partir. Il était indispensable qu’il écrivît à Muong You et qu’il en obtînt une réponse. M. de Lagrée lutta énergiquement contre cette nouvelle exigence et il obtint du roi de partir le 12 ; mais ce jour-là même arriva une lettre de Muong You signée du fonctionnaire birman et des membres du sena de cette localité. Elle retirait l’autorisation de passage, donnée, disait-elle, dans l’ignorance de ce qui s’était passé entre nous et Xieng Tong. C’était dans cette dernière ville qu’il fallait aller chercher la permission de continuer notre voyage !

Il était presque impossible, dans l’état des routes et de nos ressources pécuniaires, de faire entreprendre ce voyage à toute l’expédition. M. de Lagrée se résolut à partir avec le docteur Thorel, l’interprète Alévy et deux hommes d’escorte seulement. Il nous quitta le 14 août en me promettant de me tenir au courant de ses négociations.