Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/446

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette rivière et du Mékong que s’élève la ville. Nous traversâmes d’un pas rapide la plaine dont les villages portaient encore les traces des dévastations des dernières guerres ; nous franchîmes en bac le Nam Ha, à côté d’un pont en bois détruit, et nous allâmes nous installer dans une pagode située en dehors de l’enceinte en terres levées de la ville.

Alévy nous attendait avec impatience. Il avait été fort mal reçu par les autorités locales. Dès son arrivée on avait voulu le forcer à rebrousser chemin. Alévy connaissait trop ses compatriotes pour céder à leurs menaces : « Faites de moi ce que vous voudrez, avait-il répondu, tuez-moi si cela vous fait plaisir, mais jamais je n’oserai retourner sans une réponse favorable, auprès du chef qui m’a envoyé. Je crains plus sa colère que la vôtre, et si vous connaissiez mieux les gens à qui vous avez affaire, vous ne vous exposeriez pas de gaieté de cœur à les pousser à bout. Je n’ose répondre de ce qu’ils pourront faire à Muong Long, si vous persistez dans votre refus de les laisser venir, et il serait plus sage de les admettre en votre présence : la vue des plus grands personnages du pays les forcerait sans doute à se contenir et vous leur feriez entendre facilement raison. » Ce mélange d’intimidation et de flatterie avait produit son effet. On nous avait envoyé l’autorisation de venir à Xieng Hong, mais cette autorisation ne préjugeait en rien la décision qu’il restait encore à prendre au sujet de la continuation de notre voyage. Alévy n’avait réussi à voir ni le roi, ni le chef birman, ni le mandarin chinois qui résidait à Xieng Hong. La veille de notre arrivée, il y avait eu une longue discussion au sénat, et le lendemain de grand matin, le Chinois était parti avec une lettre pour Muong La.

En somme, on ne parut pas nous faire trop mauvaise figure, et les difficultés qui nous restaient encore à vaincre étaient sans doute plus facilement surmontables que celles que nous avait opposées la mauvaise volonté des autorités birmanes de Xieng Tong.

La ville de Xieng Hong, depuis sa destruction par Maha Say, gouverneur de Muong Phong en 1857, s’est reconstruite au nord du confluent du Nam Ha. — (Voy. ci après le chapitre XX.) Si la plaine elle-même est très-habitée, la nouvelle ville n’a encore attiré qu’un très-petit nombre de résidents fixes ; c’est plutôt l’emplacement d’un marché qu’un centre de population.

Le marché se tient presque tous les jours — cinq fois par semaine — et contient en plus grande abondance toutes les denrées que nous avons énumérées déjà pour Muong Long. Le sel devient décidément la monnaie courante. Le Mékong a en cet endroit de 300 à 400 cents mètres de large et coule paisiblement entre de hautes berges bordées de bancs de sable. Ses eaux avaient déjà baissé de 5 mètres ; il avait dû atteindre son niveau maximum pendant notre séjour à Muong Yong.

Un peu au-dessous de la ville et après avoir reçu les eaux du Nam Ha, le fleuve se rétrécit brusquement et des collines s’élèvent sur ses deux rives. C’est là, sur la rive droite, que se trouvent les ruines de l’ancienne ville, celle-là même dont Mac Leod avait déterminé la position en 1837. En amont, a lieu un rétrécissement analogue, et à en juger par l’horizon de montagnes qui limite la vue à l’est et au nord, il semble que le Mékong s’engage définitivement au milieu des chaînes d’origine tibétaine où il va prendre ses sources.

Une de nos premières visites fut pour les ruines de l’ancienne ville, qui se trouvent