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vaient visiblement déconcertés par cette attitude, et ils consentirent à notre réception officielle, espérant y trouver un moyen de sortir d’embarras.

Cette réception eut lieu le 3 octobre. À gauche et en arrière du Momtha était assis le mandarin birman ; à droite était une place vide, réservée au mandarin chinois, absent en ce moment de Xieng Hong ; tout autour étaient rangés les membres du sena.

Le commandant de Lagrée exhiba d’abord la lettre du roi de Xieng Tong et celle du Pou Souc. Son collègue de Xieng Hong, qui porte le titre de Tcha Kaï, fit observer que ces lettres ne nous autorisaient qu’à nous rendre à Xieng Hong ; un mandarin thai répliqua qu’il ne pouvait en être autrement, puisque Xieng Hong dépendait de la Chine et que les autorités de Xieng Tong n’avaient pas le droit d’indiquer, sans le consentement du roi d’Alévy, une destination plus éloignée. L’opposition du Birman fit d’ailleurs plus de bien que de mal à notre cause, et il nous parut qu’on le traitait fort lestement. Le commandant de Lagrée montra ensuite les passe-ports chinois. Ils ne produisirent aucun effet ; la signature était inconnue, et l’un des membres les plus influents du sena, le Phya luong Mangkala, s’écria que tout cela ne venait pas du Maha sena et qu’on ne savait ce que cela voulait dire. Alors le commandant de Lagrée tira lentement de son enveloppe la lettre adressée à notre sujet par le prince Kong au vice-roi du Yun-nan. Le plus grand silence se fit, un Chinois secrétaire en fit la lecture devant l’assistance prosternée par respect et déclara que cela venait bien de Pékin, que les mandarins français étaient des gens honnêtes et d’un rang très-élevé et qu’il convenait de nous recevoir amicalement. Les physionomies avaient changé à vue d’œil, et le Momtha n’adressa plus au commandant de Lagrée que des questions obligeantes et de gracieux compliments.

Le chef de l’expédition demanda alors à voir le roi et à partir le plus rapidement possible. Il fut convenu que Sa Majesté nous recevrait le 5 et que nous partirions le 6 octobre.

Le 5, au moment où la Commission se rendait au palais du roi, les mandarins demandèrent la liste des cadeaux que nous allions offrir à Sa Majesté. C’était la première fois qu’on élevait une pareille prétention. M. de Lagrée répondit qu’il ne connaissait point encore le roi, et qu’il ne se déciderait dans le choix des présents qu’après l’avoir vu. Il fallut se contenter de cette réponse.

Sa Majesté habite provisoirement une mauvaise maison en bambou de très-chétive apparence. La salle de réception avait été ornée à la hâte de tapis chinois ramassés un peu partout ; pour donner une haute idée de la puissance du souverain, on avait réuni trois ou quatre cents hommes, pris au hasard, armés et costumés de la façon la plus irrégulière et portant en gens inexpérimentés, des fusils à pierre, des lances et des sabres, la plupart peu en état de servir.

Après une assez longue attente, le roi parut : l’assemblée s’inclina, les trompes résonnèrent, quatre petites espingoles firent feu. Nous vîmes un jeune homme de dix-neuf à vingt ans. Ce petit souverain, sans force et sans initiative, est entièrement sous la tutelle des grands mandarins. Son costume ressemblait fort à celui des paillasses de nos foires : il était coiffé d’un grand chapeau chinois orné de clochettes et portait une tunique en soie rouge, à dessous vert et un pantalon blanc ; il avait à la main un sabre à fourreau d’ivoire sculpté.