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ration de troupes dans cette localité, mais notre mandarin d’escorte sut nous faire faire une large place.

Tong-kouan, dont le nom signifie « forteresse de l’est », occupe une position dominante au milieu d’une vaste plaine, admirablement cultivée, où s’élèvent de nombreux villages ; c’est le point culminant du massif qui sépare la vallée du Pa-pien kiang de celle du Pou-kou kiang. Les troupes qui y étaient réunies, partirent le lendemain de notre arrivée au bruit habituel de nombreux pétards. C’était un spectacle fort pittoresque que la vue de cette longue file de soldats aux costumes voyants, déroulant au loin ses innombrables bannières et faisant étinceler au soleil ses armes, aux formes variées et étranges. Chaque officier marchait précédé de grands et de petits tam-tam, que des domestiques battaient à intervalles inégaux, de guitaristes et de porteurs de guidons. Aucun ordre ne présidait à la marche et chaque soldat ne se préoccupait que de choisir la route la plus commode ou le compagnon de voyage le plus agréable. À chaque détour, des groupes nombreux s’arrêtaient pour causer, fumer ou boire, et la colonne s’allongeait démesurément sans qu’aucune surveillance fût exercée par les chefs. Cent hommes déterminés auraient mis en déroute tout ce corps d’armée. Son commandant, mandarin militaire à bouton bleu, avait tenu, pour nous faire honneur, à rester à Tong-kouan jusqu’à notre départ. Il escorta M. de Lagrée à cheval pendant près d’un kilomètre et nous sortîmes du village entre deux haies de soldats et de banderoles et au bruit de la mousqueterie.

Le 8 novembre, nous franchîmes en barque le Pou-kou kiang, rivière presque aussi considérable que la précédente. Nous remontâmes la vallée d’un de ses affluents, jusqu’au village de Tchang-lou-pin où nous trouvâmes un petit mandarin envoyé de Ta-lan à notre rencontre. Nous arrivâmes dans cette ville le lendemain à deux heures. Le premier mandarin de Ta-lan, qui était bouton rouge, et se nommait Tin ta-jen, s’empressa d’aller rendre visite à M. de Lagrée dans la pagode hors murs où nous étions installés. Ta-lan est située dans la vallée d’un affluent du Pou-kou kiang ; la ville est moins considérable que Pou-eul : elle n’a pour toute fortification qu’une simple muraille en terre. Quoiqu’elle ait été occupée pendant quelque temps par les Mahométans, elle a beaucoup moins souffert que Se-mao et Pou-eul, et il y règne une animation considérable. Toutes les pentes des montagnes avoisinantes sont admirablement cultivées, et aux fruits des tropiques viennent s’ajouter les fruits et les céréales de l’Europe. Ce fut à Ta-lan que nous retrouvâmes pour la première fois la pomme de terre : les noix et les châtaignes se mélangeaient, sur le marché, aux goyaves, aux mangues, aux coings, aux cédrats, aux oranges, aux pêches, aux poires, aux pommes. Avec un peu plus de tranquillité et quelques perfectionnements agricoles, ce pays, qui est l’un des plus favorisés de la nature, deviendrait aussi l’un des plus riches du globe.

La population de Ta-lan se mélange dans une proportion très-considérable de sauvages, auxquels les Chinois donnent le nom de Ho-nhi. Ils ressemblent comme costume aux Khas Khos, mais ils sont plus beaux et plus forts : ce sont les têtes qui se rapprochent le plus de notre type occidental : le front est étroit, la face rectangulaire, les sourcils horizontaux, l’œil noir, le teint cuivré. Les femmes sont excessivement vigoureuses et l’œil se