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ORIGINE COMMUNE DES ANNAMITES ET DES LAOTIENS.

était au midi et comprenait les tribus Ba Viet dont Au Viet, Man Viet, Lac Viet[1] étaient les principales et qui formaient ensemble le Nam-viet (Nan-youe). Dès avant les Han, on appelait Nam-viet, les cinq montagnes de Ngu-linh (Ou-linh) qui sont Cao so’n, Hue so’n, Hoanh so’n, Thai so’n, Hon so’n. »

D’après les mêmes autorités[2], le premier roi des Ba Viet fut un nommé Loc-tuc, fils cadet d’un empereur de Chine et d’une fille Ba Viet que l’empereur avait rencontrée dans une excursion à la mer du midi. Loc-tuc prit en montant sur le trône le nom de Kinh-dreuong et fut le chef de la dynastie, connue dans les annales annamites sous le nom de

    de Nan-youé, tels que Tchao-to, Tchao-hou, Tchao-ing, ou dans celui du royaume de Nan-tchao. Les appellations chinoises et annamites du pays occupé par les Pe-youe sont très-nombreuses. Voici celles que l’on trouve dans les historiens annamites : Nhat-nam (Ji-nan en chinois), An-nam (Ngan-nan), Viet-nam (Youe-nan), Van-lang (Ouen-ling ?), Nam-binh (Nan-ping). Giao-chi était l’une des quinze préfectures du royaume de Van-lang et n’a jamais désigné qu’une partie du territoire occupé par les Ba Viet, tandis que presque toutes les dénominations qui précèdent se sont appliquées, à une certaine époque, à toute son étendue. Il faut remarquer aussi que Viet-thuong ou Youe-tchang est synonyme pour les Chinois de Lao-tchoua, nom sous lequel ils désignent le royaume laotien de Luang Prabang et de Vien Chon qui s’appelait jadis Muong Choa, (Biot, Dictionnaire, etc., p. 309.)

    Youe-tchang a été écrit à tort, Yue-chang dans la note 1 de la page 113. Ce nom a été porté aussi par le royaume de Lin-y, mais seulement, d’après le Ta thsing y thoung tchi, à partir des Thsin, c’est-à-dire du iiie siècle avant notre ère. Le Lin-y est mentionné dans le Thoung kien kang mou comme un royaume distinct de celui de Youe-tchong, vers la fin du xiie siècle avant notre ère, au moment de l’ambassade envoyée par ce dernier pays à l’empereur Tchin-ouong. Les annales annamites (P. Legrand, op. cit., p. 10) disent expressément, que le nom de Viet-thuong (Youe-tchang) était appliqué à cette époque au territoire des Ba Viet. Les faisans qu’apportèrent les envoyés du Youe-tchang abondent dans la région montagneuse qui se trouve à l’est du Tong-king et ne sauraient vivre dans les pays chauds où quelques commentateurs ont placé le pays de Youe-tchang. Quant à la difficulté que l’on pourrait tirer de l’itinéraire maritime suivi par l’ambassade à son retour, il n’y a rien d’extraordinaire à supposer que, pour éviter un chemin par terre dangereux et des forêts impraticables, les envoyés du Youe-tchang aient descendu les côtes de la presqu’île pour remonter ensuite le Cambodge et parvenir en barques dans le Laos. Telle est la route qu’ont suivie au xviiie siècle les missionnaires pour aller du Tong-king dans ce dernier pays, après avoir échoué dans une tentative pour y pénétrer directement (voy. ci-dessus, p. 9).

    Je résumerai cette longue discussion en disant que le royaume de Youe-tchang, qui envoya vers 1109 av. J.-C. une ambassade en Chine, doit être cherché dans la région comprise entre Luang Prabang et le Tong-king, au sud des Kiao-tchi ou Annamites proprement dits, comme l’indique le Thoung kien kang mou ; que ce royaume est celui que les Chinois ont appelé plus tard Lao-tchoua, et qu’il a probablement passé avec le Lin-y, à la fin du iiie siècle avant notre ère, sous la domination du général chinois Tchao-to, dont il va être parlé. La mention faite de l’ambassade de Youe-tchang par les annales annamites, prouve que les Laotiens faisaient partie des tribus Ba Viet, dont ces annales racontent l’histoire. Ce n’est qu’après la dispersion de ces tribus et leur partage définitif en plusieurs royaumes distincts, que les chroniques tong-kinoises se restreignent à l’histoire des Kiao-tchi.

  1. L’orthographe latine de ces noms n’est malheureusement pas suffisante pour retrouver leurs équivalents chinois. Un seul, celui de Man Viet, se retrouve dans celui des Min-youe, dont il est parlé dans l’histoire de Chine de Mialla (t. III, p. 9 et 13) et qui formaient encore au iie siècle avant notre ère un État indépendant dans le Fo-Kien. La configuration montagneuse de cette province a préservé leurs descendants d’une complète absorption par les Chinois, et la race mixte qui l’habite aujourd’hui diffère sensiblement, par la langue et l’aspect physique, des Chinois du reste de l’empire. Les tribus Au et Lac semblent s’être plus particulièrement unies par le mariage de Lac-lung et de Au-cu pour former le royaume de Nan-youe.

    Pour que les chroniques tong-kinoises fussent lues avec fruit et pour qu’on pût les repérer sur les faits bien connus de l’histoire chinoise, il serait nécessaire que tous les noms propres fussent accompagnés des caractères chinois dont ils ne sont que la prononciation défigurée.

  2. Pour toute la suite du récit, comparez à la traduction du P. Legrand, Marini, Delle missioni, etc., et Alex, de Rhodes, Historia Tunkinensis.