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LE LAO-PAPA.

mahométan une série de problèmes sur la distance des planètes, sur les éclipses, sur les comètes, sur l’influence des étoiles. J’y répondis « en laissant discrètement entrevoir toute l’admiration que j’éprouvais pour l’auteur de questions aussi savantes. Il y avait dans certaines parties de la communication qu’il avait bien voulu me faire des détails qui dénotaient des études trop approfondies pour que je n’eusse pas tout à gagner à conférer avec lui. Une discussion de vive voix pouvait seule éclairer mes doutes. »

Le Lao-papa, se voyant enfin apprécié, oublia ses griefs et consentit à une entrevue. Je me rendis chez lui avec le commandant de Lagrée et le provicaire. Une nombreuse galerie de fidèles assistait à cette conférence qui devait faire éclater la science profonde de leur maître. Un magnifique télescope dressé sur un trépied, quelques cartes étalées sur une table complétaient la mise en scène. Je ne tardai pas à m’apercevoir que l’usage de ces objets était peu familier à leur propriétaire et je disposai discrètement la lunette pour une observation du soleil. Le Lao-papa, qui pour la première fois parvenait à voir quelque chose dans un instrument dont il ignorait même la mise au point, convia tous les spectateurs à y regarder avec lui et en prit occasion pour exposer ses théories astronomiques. Le père Fenouil me fit tenir le langage le plus convenable pour mettre en relief le savoir du prêtre et augmenter l’admiration de son auditoire. L’amitié de notre hôte nous fut irrévocablement acquise.

Nous lui confiâmes alors notre projet de voyage et les craintes que nous éprouvions de voir notre mission scientifique entravée et nos recherches géographiques compromises par les défiances des deux partis en lutte. « Ne vous faites pas d’illusion à cet égard, nous dit confidentiellement notre interlocuteur, je suis le seul ici qui puisse apprécier le but de votre voyage. Il est impossible aux gens ignorants et grossiers qui nous entourent de croire que le progrès de la science est le seul mobile qui vous porte à endurer tant de fatigues et à courir de si graves dangers, mais j’ai heureusement une grande influence sur nos coreligionnaires de Ta-ly. Je vais immédiatement rédiger une lettre qui pourra, je l’espère, vous servir de passe-port et faciliter vos travaux. »

Il nous envoya en effet, quelques jours après, un factum chinois où il exposait longuement, dans ce style ampoulé et prétentieux des lettrés, que depuis des siècles la Chine attirait la curiosité des étrangers et qu’on les avait vus accourir des pays les plus éloignés pour apporter des présents à l’empire du Milieu. Il ajoutait ensuite : « Le chef français La (Lagrée), cinq de ses collègues et quelques soldats ont obtenu de l’empereur l’autorisation de pénétrer en Chine et de visiter librement toutes les parties de ce vaste territoire. Leur but est de rapporter à leur souverain la figure la plus exacte possible des montagnes, des lacs et des fleuves qu’ils auront traversés, afin sans doute qu’en lui offrant la carte nouvelle représentant leur voyage, ils obtiennent les grades et les honneurs qu’aura mérités ce patient travail. Tel est le but dans lequel ils ont affronté les fatigues d’une marche longue et pénible, les intempéries des climats, les dangers des bêtes féroces et des brigands. Je les ai interrogés et j’ai trouvé leur cœur droit, leur probité irréprochable, leurs mœurs douces. Ils ont l’intention d’aller visiter Ta-ly, Li-kiang, Yun-pe et les frontières des pays de Mien et de Tse-yang. J’invite tous les Mahométans, tous les Chinois, tous les barbares