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Tout à coup le ruisseau dont nous suivions les bords disparut ; le vallon prit fin, l’horizon s’élargit : à six cents mètres au-dessous de nous s’ouvrait une vallée large et boisée ; on y parvenait par des rampes en zigzag, d’une pente excessivement rapide, creusées dans les flancs rocheux du plateau à l’extrémité duquel nous étions arrivés. Au bas de cette brusque descente, un torrent s’échappait en bouillonnant d’une grotte profonde et allait rejoindre à peu de distance une grande rivière qui venait de l’ouest. Nous quittions le plateau du Yun-nan pour entrer dans les basses et chaudes régions de la vallée du fleuve Bleu.

Ta-kouan hien, où nous arrivâmes le soir même, est une petite ville pittoresquement située sur le flanc droit des hauteurs qui bordent la rivière que nous venions de rejoindre, rivière à laquelle elle a donné son nom.

Les maisons s’étagent en amphithéâtre au-dessus et au-dessous de la longue rue qui forme l’artère principale et où règne une animation excessive. La pagode dans laquelle on nous logea est construite dans la partie haute de la ville ; du sommet du grand escalier qui conduit au sanctuaire, on découvre un panorama fort étendu. Un repas tout préparé nous y attendait et le mandarin du lieu vint le lendemain nous rendre une visite en grand appareil. Ce fonctionnaire, quoique de l’ordre civil, porte le chapeau militaire en témoignage de la valeur qu’il a déployée contre les Ho-liou.

Ta-kouan a été occupé par les Mahométans en 1862. Après leur expulsion, les débris de leurs bandes se sont joints aux Lolos des montagnes et se sont fortifiés à O-che-oua, localité située à une dizaine de lieues dans le sud-ouest. De là, ils ravagent et rançonnent le pays environnant. Des mesures énergiques semblent être prises pour constituer une force militaire capable de réprimer ces brigandages : les têtes nombreuses que nous avons vues exposées sur notre route à l’extrémité d’un bambou, sont, nous dit-on, celles des déserteurs ou des réfractaires de l’armée chinoise, dans les rangs de laquelle on essaye de rétablir la discipline.

Nous nous remîmes en route le 17 avril ; à quelque distance au nord de Ta-kouan, vis-à-vis du village de Kouang-ho-ki la route franchit la rivière sur un pont suspendu. C’était le premier ouvrage de ce genre que nous rencontrions en Chine : des chaînes de fer de forte dimension sont encastrées dans les culées et roidies entre des piliers placés de manière à se correspondre des deux côtés de la rivière ; des étriers en fer y rattachent le tablier. Grâce au peu d’élévation des points d’appui, ces ponts présentent une courbure inverse de celle des ponts suspendus européens et leurs oscillations sont considérables ; mais leur solidité, qui dépend surtout du bon établissement des culées, est en général très-satisfaisante.

Des Miao-tse habitent les hauteurs qui dominent de tous côtés le Ta-kouan ho[1]. À une élévation considérable au-dessus de la route, on découvre, au sommet des rochers qui surplombent, des champs admirablement cultivés : on ne saurait deviner comment on a pu transporter la charrue sur ces petits plateaux qu’entourent de tous côtés des surfaces à pic.

Une rivière considérable, qui paraît être le cours d’eau principal de tout ce bassin,

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XLVII, des types de cette nouvelle race.