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vient rejoindre le Ta-kouan ho, en aval de Kouang-ho-ki ; c’est la rivière de Co-koui ; elle traverse une contrée excessivement riche en métaux. Les mines de plomb argentifère de Sin-cai-tse sont célèbres dans toute la Chine. Les pompes d’épuisement occupaient à elles seules avant la guerre plus de douze cents travailleurs. Le régime hydrographique de cette zone, exploitée avec âpreté par les Chinois depuis le règne de Kien-long a été complètement transformé par le déboisement. Les vieillards affirment qu’il y a quatre-vingts ans, on franchissait à pied sec, de caillou en caillou, le Co-kouy ho à Sin-cai-tse ; aujourd’hui, cette rivière n’est pas guéable. Beaucoup plus bas, à Tong-co-kay, les hommes de cinquante ans se rappellent avoir entendu dire à leurs grands-pères qu’on traversait à gué et que les arbres formaient berceau sur la rivière ; elle a maintenant sept à huit mètres de profondeur. Sur les rives mêmes du Ta-kouan ho, nous trouvâmes des exploitations de charbon. À Kiao-tse-pa, situé à peu de distance dans l’ouest, sont des mines de fer et des fabriques de marmites et de bassines dont les produits sont expédiés à Siu-tcheou fou.

Nous arrivâmes le 20 avril à Lao-oua-tan, gros bourg très-commerçant où commence la navigation de la rivière : un pont suspendu d’une portée considérable est jeté d’une rive à l’autre[1]. Lao-oua-tan est un entrepôt très-considérable, et c’est le point où s’embarquent aujourd’hui les métaux qui viennent du Yun-nan. Les marchandises légères suivent la route de terre pour aller à Siu-tcheou fou ; la voie fluviale exige deux ou trois transbordements ; elle est plus rapide et peut-être plus coûteuse[2].

Nous nous embarquâmes à Lao-oua-tan dans une grande barque d’une capacité de trente à quarante tonneaux et nous pûmes admirer l’habileté avec laquelle les Chinois dirigent ces lourdes embarcations au passage des rapides. Ils se servent d’énormes avirons bordés à l’avant, en guise de gouvernail, qu’ils manœuvrent ensemble pour doubler l’effet de la barre et faire pivoter rapidement la barque dans les moments difficiles. En deux heures nous arrivâmes à Pou-eul-tou, petit port situé sur la rive gauche de la rivière, qui a changé de nom et s’appelle le Houang kiang. Pendant que nos bagages et une partie de notre escorte continuaient leur route en bateau, nous mîmes pied à terre et nous nous engageâmes dans la petite vallée qui aboutit à la résidence du vicaire apostolique du Yun-nan. Nous admirâmes dans ce court trajet les paysages les plus variés et les plus pittoresques : de nombreuses sources jaillissaient des parois calcaires de la vallée et, de chute en chute, se perdaient en poussière argentée qui n’arrivait pas jusqu’au sol ; les plateaux s’étageaient en plusieurs gradins tout chargés de riches cultures et de riantes habitations. La vallée se terminait brusquement par une cascade haute d’une centaine de mètres. Nous nous engageâmes dans une route en zigzag pratiquée sur son flanc gauche, et ce ne fut pas sans émotion que nous aperçûmes le drapeau français, arboré en notre honneur, flotter au sommet de la demeure de monseigneur Ponsot. Quelques détonations saluèrent notre arrivée et firent prendre le galop à nos chevaux. Quelques secondes après nous

  1. Voy. Atlas, 2me partie, pl. XLVI.
  2. Voy. les détails que donne sur les transports le traité de métallurgie chinoise traduit dans le second volume de cet ouvrage (p. 247-253).