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s’accentuer de plus en plus, à mesure que nous nous rapprocherions des côtes.

Je louai à Siu-tcheou fou, pour effectuer notre retour, deux jonques, l’une destinée à l’escorte, l’autre aux officiers. Elles ne devaient nous conduire qu’à Tchong-kin fou, centre commercial du Se-tchouen. Le 8 mai, le cercueil de M. de Lagrée arriva à Siu-tcheou fou et fut immédiatement placé dans l’une de nos jonques. Le lendemain, nous fîmes nos adieux aux dignes missionnaires de Siu-tcheou fou ; le P. Leguilcher, qui depuis plus de deux mois partageait nos fatigues, fut le dernier à se séparer de la Commission. Nous nous dîmes adieu — peut-être au revoir — les yeux pleins de larmes. Je désire vivement que ce livre lui porte l’expression de ma gratitude pour les immenses services qu’il a rendus à l’expédition française, de mon admiration pour un courage et un dévouement qui lui semblent si naturels.

Je passerai rapidement sur le récit de notre voyage de Siu-tcheou fou à Han-keou. Nous rentrions dans une région déjà visitée par des voyageurs européens et sur laquelle existent des ouvrages spéciaux[1]. Le fleuve à partir de Siu-tcheou attarde dans de longs détours ses eaux larges, peu rapides et en cette saison peu profondes. Quelques îles et des bancs interrompent son cours. Les villes sont très-peuplées ; les villages, les bourgs et les villes se succèdent sans interruption. La navigation est active et sur les deux rives du fleuve de nombreux bateliers traînent en chantant les jonques qui remontent le courant. Entre Siu-tcheou et Kiang-ngan, on aperçoit sur les hauteurs qui dominent le fleuve, de nombreuses grottes calcaires ; elles servaient jadis de sépultures aux populations Man-tse, auxquelles cette contrée a appartenu. Le Tche-choui ho qui se jette dans le grand Fleuve à Na-ki, amène des montagnes du Kouy-tcheou de grandes quantités de bois qui viennent alimenter les chantiers de construction de Lou tcheou. Cette dernière ville, où nous arrivâmes le 10 mai, est le siège d’un tao ou sous-gouverneur de province. Elle est agréablement située au confluent du Tsong kiang : on sait que sur les bords de cette rivière se trouvent les salines célèbres de Tse-liou-tsin ; des sources de pétrole ou « puits de feu » sont à côté et fournissent le combustible nécessaire à l’évaporation des eaux. Il arrive en moyenne par jour à Lou tcheou un convoi de vingt barques portant 120 tonneaux de sel, qui de là vont subvenir aux besoins de la consommation dans le Kouy-tcheou, le sud du Se-tchouen et le nord du Yun-nan. À partir de Lou tcheou on trouve à chaque pas, sur les rives du fleuve, des filons de charbon dont un grand nombre sont exploités.

Le 13 mai, nous débarquâmes à Tchong-kin fou. Cette ville, qui est le centre commercial du Se-tchouen, est bâtie en amphithéâtre au confluent du grand fleuve et de l’importante rivière qui vient de Pao-king. Sa population peut être évaluée à 300,000 âmes. Nous eûmes à repousser les démonstrations hostiles de la foule, qui jeta des pierres sur la jonque qui contenait le cercueil de M. de Lagrée. Nos Annamites arrêtèrent l’un des agresseurs et, accompagné de deux membres de la Commission, le revolver au poing, je traversai la foule

  1. Une partie de ce trajet (de Tchong-kin fou à Han-keou) a été étudiée avec soin, tant au point de vue hydrographique qu’au point de vue commercial, par des officiers de la marine anglaise et des délégués de la chambre de commerce de Shang-hai, après le passage de la Commission française. Voy. pour la suite du récit la Carte générale de l’Indo-Chine et de la Chine centrale. Atlas, 1re partie, pl. I.