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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/592

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nous dans l’Inde. Notre industrie et notre commerce, épuisés par tant de sacrifices, compromis par tant de lourdes charges, peuvent y retrouver des débouchés et des éléments de richesse suffisants pour leur permettre de lutter avantageusement avec les industries et les commerces rivaux.

De notre colonie de Cochinchine, portons nos regards sur cette agglomération d’hommes qui forme le Céleste Empire.

Les admirateurs passionnés ne manquent pas plus à la Chine que les détracteurs implacables. Tous ceux qui y ont fait un long séjour se sont laissé plus ou moins gagner par l’influence de cette civilisation singulière, unique dans les annales du monde. L’uniformité extrême que présente à tous les points de vue cette gigantesque nation finit par s’imposer à l’esprit ; la rigidité des usages, l’importance de la forme, la gravité et la dignité avec lesquelles s’accomplissent les actes les plus insignifiants, donnent le caractère de nécessaire et d’indispensable aux moindres évolutions de la vie chinoise. Tout point de comparaison échappe bientôt à l’Européen qui se laisse absorber dans cet étrange milieu. Le dédain de cette société lettrée et polie pour tout ce qui vient du dehors finit par l’atteindre et le troubler ; il croit infaillible une sagesse qui résulte de l’expérience accumulée de tant de siècles ; il admire cette monotone harmonie qui l’enveloppe de toutes parts, en ne laissant arriver jusqu’à lui aucune note étrangère ; et, remplaçant enfin ses préjugés européens par des préjugés chinois, il n’est pas loin d’affirmer, avec ses nouveaux compatriotes, qu’en dehors de la Chine il n’existe que des barbares.

Cette manière de voir aurait été, à bien peu de chose près, celle des premiers voyageurs qui nous ont fait connaître la Chine, si elle n’avait été contenue et modifiée par le sentiment religieux, qui a toujours si puissamment influé sur les appréciations et les jugements des Occidentaux. Dans les récits des navigateurs qui abordèrent au seizième siècle sur les côtes du Céleste Empire, éclate une profonde et naïve admiration. L’empereur de Chine est représenté comme le plus puissant monarque du monde ; ce n’est qu’à genoux et en tremblant que se présentent devant lui les envoyés des nations européennes.

Qu’on se reporte d’ailleurs par la pensée vers l’année 1500, époque où se nouèrent les premières relations maritimes entre l’Europe et la Chine, et que l’on essaye de se représenter l’ancien monde : un commerce à peu près nul, une agriculture en enfance, une immense quantité de terres en friche, peu ou point de canaux ou de routes, nulle part de communications sûres et régulières, une ignorance profonde et presque générale, chez le peuple une misère navrante, partout l’arbitraire, l’intolérance et la guerre ; tel était le sombre tableau en regard duquel venait se placer le paysage animé et paisible des riches provinces orientales de la Chine. Comme législation, comme mœurs, comme productions, la supériorité du nouvel empire sur l’Europe ressortait incontestable ; — comme science, il n’avait encore rien à apprendre de l’Occident, dont toutes les grandes découvertes n’ont été faites qu’après cette époque.

Il est donc naturel que la première impression produite, au sujet de la Chine, par les merveilleux récits qui furent transmis alors en Europe, ait été celle d’une civilisation accomplie et d’une puissance presque sans limites. L’étude approfondie que les jésuites