Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/599

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fréquentes, leur apprendront à la fois tout ce qu’ils peuvent avoir à en redouter et quels immenses profits ils peuvent en attendre, ils renaîtront sans doute au sentiment de leur individualité comme nation. Leur intelligence et leur sens pratique leur montreront bientôt la nécessité de resserrer les liens qui unissaient jadis les cent familles entre elles, autant pour soutenir une lutte commerciale et industrielle profitable à tous, que pour résister aux attentats de la force, et conserver le droit de subsister comme race indépendante. Les immenses ressources de leur vaste empire sont dépensées aujourd’hui sans but et sans résultat, et gaspillées par des fonctionnaires malhonnêtes ; sagement employées, elles seraient suffisantes pour replacer immédiatement la Chine au niveau des nations européennes les plus puissantes. Avec l’esprit d’initiative et d’entreprise dont sa population est douée, ce pays n’a besoin que d’administrateurs habiles pour voir ses plaies se cicatriser d’elles-mêmes. Il a déjà fait appel à l’élément européen pour combattre la lèpre de la concussion qui le ronge, et ce premier essai a été couronné de succès. Telle est la voie dans laquelle il doit persévérer, s’il veut rétablir la stabilité et la paix dans ses provinces. À l’école des Européens se formeront bien vite des Chinois qui rompront avec les traditions du passé, qui sentiront que le meilleur remède au malaise d’une population surabondante et aux brusques changements d’équilibre économique se traduisant à l’intérieur par d’effrayantes oscillations humaines, est d’ouvrir toutes grandes les portes de l’empire au commerce et à l’industrie étrangères, de favoriser les émigrations qui rapporteront plus tard au foyer natal tout un contingent d’idées nouvelles et d’arts féconds.

C’est donc avec un esprit de justice, de modération et de prudence, avec un ferme désir d’entente et de conciliation, que doivent procéder les puissances européennes, dans leurs rapports avec le Céleste Empire ; elles ont le plus grand intérêt à éviter des secousses qui provoqueraient la chute de ce colosse déjà si ébranlé. Il appartient surtout à la France de donner le concours moral le plus entier et le plus sincère à l’œuvre de consolidation et de diffusion civilisatrice dont il s’agit. La justice et son intérêt bien entendu le lui commandent. Plus que personne, elle doit désirer l’autonomie de cette vaste région, que pressent si vivement, au nord et au sud, la Russie et l’Angleterre ; son rôle doit être d’en faire respecter la neutralité et l’indépendance, de maintenir absolument libre un marché qui peut lui être si avantageux. Il est temps que notre commerce cherche à s’assurer la place qui lui revient dans les relations, déjà considérables, mais appelées à centupler encore, de la Chine avec l’Occident.

Malheureusement, nous avons subordonné jusqu’à présent notre politique à celle de l’Angleterre. Habituée à faire bon marché d’intérêts aussi lointains, notre diplomatie les a toujours sacrifiés aux nécessités de la cordiale entente. Ces sacrifices ont été sans retour. Plus nous avons effacé notre politique devant celle de nos alliés, moins ils ont compté avec nous. À l’avenir, il faut suivre une ligne de conduite opposée. N’ayant point à ménager, comme les États-Unis et l’Angleterre, des intérêts commerciaux de premier ordre, nous pouvons facilement devenir d’indispensables arbitres entre les prétentions des Européens et les résistances des indigènes. Une première fois, ce rôle nous a été offert en Chine. Si nous