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Le mouvement premier et créateur était parti des monts de l’Auxois et du Tonnerrois ; c’est de là que partira le mouvement régénérateur. Robert, accompagné des ermites de la solitude de Colan, vient s’établir au sein de la forêt de Molesme. La pauvreté de ce nouvel institut fut pendant quelques années sa force et sa gloire ; mais, à mesure que les biens temporels y entrèrent, les biens spirituels en sortirent : cum cœpissent abundare temporalibus, cœperunt spiritualibus evacuari[1]. Les richesses firent disparaître la nécessité du travail ; les moines refusèrent l’obéissance à leur abbé, qui se retira quelque temps et ne rentra que sur un ordre du Souverain-Pontife. Mais il y a pour les sociétés malades, comme pour les individus, des moments de crise où la vie, avant de s’éteindre, livre un dernier et suprême combat à la mort ; il en fut ainsi pour Molesme[2].

Quelques religieux que Dieu s’était réservés, et à la tête desquels se trouvait Étienne Harding, anglais d’origine, formé à la vie crucifiée des cloîtres dans le monastère de Sherbourne, se concertèrent avec l’abbé et constatèrent que les usages nouveaux ne s’accordaient pas avec la règle de saint Benoît qu’ils avaient juré d’observer ; c’est pourquoi ils songèrent sérieusement à remédier à un pareil désordre[3].

Il fallait ou tomber dans la vieille ornière de Cluny, qui menait à l’abîme, ou retourner à la lettre de la règle bénédictine, c’est-à-dire rétrograder du xiie au vie siècle, quitter Molesme, se retirer dans une autre forêt, et s’exposer dans le dénûment le plus complet à tous les embarras qui assiègent une communauté naissante. Mais le cri de la conscience et la perspective des écueils contre lesquels tant de monastères étaient venus se

  1. Annales cistercienses auct. Angel. Manrique, t. 1, pp. 1-10.
  2. Exord. parvum, c. 10.
  3. Exord. mag, l. 1, c. 10. — Surius, apr. 29.