Page:Louis Napoléon Bonaparte - Histoire de Jules César, tome 1, Plon 1865.djvu/425

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hommes supérieurs et des mobiles mesquins, et des prévoyances surhumaines ! Non, ce n’est pas la pensée misérable de faire échec à Cicéron qui guidait César ; il n’avait pas recours à une tactique plus ou moins habile, il obéissait à une conviction profonde, et, ce qui le prouve d’une manière évidente, c’est qu’une fois élevé au pouvoir, ses premiers actes sont d’exécuter comme consul ou comme dictateur ce qu’il avait appuyé comme citoyen, témoin la loi agraire et la réhabilitation des proscrits. Non, s’il soutient Pompée, ce n’est pas parce qu’il croit pouvoir l’abattre après l’avoir grandi, mais parce que cet illustre capitaine avait embrassé la même cause que lui ; car il n’eût été donné à personne de lire dans l’avenir au point de deviner l’usage que ferait le vainqueur de Mithridate de ses triomphes et de sa véritable popularité. En effet, lorsqu’il débarqua en Italie, Rome fut dans l’anxiété. Licenciera-t-il son armée[1] ? Tel fut de toutes parts le cri d’alarme. S’il revient en maître, personne ne peut lui résister. Contre l’attente générale, Pompée licencia ses troupes. Comment donc César pouvait-il prévoir d’avance une modération si peu dans les habitudes du temps ?

Est-il plus vrai de dire que César, devenu proconsul, aspirait à la souveraine puissance ? Non, en partant pour la Gaule, il ne pouvait penser à régner sur Rome, pas plus que le général Bonaparte, en partant pour l’Italie, en 1796, ne pouvait rêver l’Empire. Était-il possible à César de prévoir que, pendant un séjour de dix ans dans les Gaules, il y enchaînerait toujours la fortune, et que, au bout de ce long espace de temps, les esprits, à Rome, seraient encore favorables à ses projets ? Pouvait-il deviner que la mort de sa

  1. « Les bruits qui précédèrent Pompée y causèrent un grand trouble, parce qu’on avait dit qu’il entrerait dans la ville avec son armée. » (Plutarque, Pompée, xlv.) — « Cependant tout le monde craignait au plus haut point Pompée : on ne savait pas s’il congédierait son armée. » (Dion-Cassius, XXXVII, xliv.)