Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/43

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mette au courant du fameux discours que prononça un jour Nastase, l’après-midi de la fête patronale d’Ouvent : j’y étais.

C’est pas d’hier cette histoire-là ; faut vous dire que c’était au moment du procès de Rennes et que, dans ce petit village qui compte tout juste trente-cinq électeurs, les deux partis étaient cependant bien tranchés. Naturellement, Nastase, qui a toujours été un rouge, tenait pour la révision ; on discutait dur ; chacun avait son journal et soutenait mordicus son opinion ; ça n’empêchait pas de trinquer et de dire des blagues.

On ne parlait que de « conclusions ». Tout le monde en avait plein la bouche comme ce fameux avocat d’alors dont j’ai oublié le nom. Personne ne pouvait prononcer une phrase, dire un mot, apprécier un argument, juger un fait sans qu’aussi tôt les autres ne demandassent : « la conclusion » ?

La conclusion, naturellement, c’est que tout le monde voulait avoir raison.

Bref, Nastase, très surexcité, les yeux plus flamboyants que jamais, s’écria tout à coup en se levant : Messieurs, je demande la parole.

Vous savez que Nastase a une certaine instruction ; il a été maire d’Ouvent pendant seize ans ; il a fréquenté un peu les grosses légumes et connaît les usages parlementaires ; c’est pour ça qu’il a employé cette formule au lieu de réclamer simplement comme les autres : « Laissez-moi dire ! »