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dans le ventre, ces petits malheureux regardaient avec des yeux d’envie, avec une convoitise quasi-féroce, cette troupe de gens proprement mis et qui, dans une heure à peine, allaient bien dîner. Ils ne disaient rien, ne poussaient pas même ces glapissements sourds exprimant à la fois mille choses différentes, que ne savent pas retenir ces petits becs et ces petites langues. Il y en avait de juchés jusque sur les mausolées du cimetière qu’il fallait traverser avant d’entrer dans l’église, et, vraiment, à les voir si pâles, si chétifs, si accablés, on pouvait se demander s’il n’eût pas été plus heureux pour eux d’être couchés sous ces marbres que de grouiller dessus.

Le dernier couple était entré dans l’église. Quelques enfants avaient suivi ; d’autres étaient restés au dehors, malgré le froid, à jouer aux osselets sur les marches de pierre de la grande croix de mission ; les uns pour se chauffer, d’autres pour oublier qu’ils avaient faim.

M. Buisson, curé-archiprêtre de la paroisse Saint Hugues de Notre-Dame, assisté de deux acolytes, se préparait à officier lui-même. Les cierges flamboyaient, les enfants de chœur, en surplis blancs, apportaient le sel, l’eau lustrale et le saint chrême ; les cloches carillonnaient à pleins cieux. Et pourtant ce n’était pas pour le fils d’un grand de ce monde que Léonard Pouchot, syndic vénéré de la corporation des gantiers, et Marie Beissière, sa commère, allaient réciter le Credo. Mais maître Pouchot était généreux comme pas un ; on le savait. Fournisseur de la cour et des princes, il gagnait beaucoup d’argent par ses rapports avec l’étranger, et, étant l’un des rares fabricants qui n’eussent pas été obligés de ren-