Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/128

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d’efforts et que ces armements sont en opposition avec le progrès, les intérêts et les désirs des populations ; mais que, en noircissant beaucoup de papier, en débitant beaucoup de paroles, on pourrait remplacer la guerre par l’arbitrage, on pourrait mettre tous les hommes d’accord, faire qu’il n’y ait plus d’intérêts opposés et, partant, plus de guerre. Or, comme c’est l’armée qui donne au gouvernement le pouvoir, le gouvernement ne renoncera jamais à l’armée et à sa raison d’être : à la guerre.

L’erreur vient de ce que les savants juristes, — en se trompant et en trompant les autres, — affirment dans leurs livres et dans leurs discours que le gouvernement n’est pas ce qu’il est : une réunion d’hommes qui exploitent les autres, mais, d’après la science, la représentation de l’ensemble des citoyens. Ils l’ont affirmé si longtemps qu’ils ont fini par y croire eux-mêmes ; ils n’admettent pas la question qui se présente naturellement à quiconque a son bon sens : est-ce que, moi, je dois y prendre part ? À leur avis, ce genre de questions n’existe même pas, et tout homme, quelle que soit son opinion sur la guerre, doit servilement se soumettre aux exigences du pouvoir. L’homme de l’antiquité pouvait vivre tranquillement au milieu d’une organisation sociale où les hommes étaient divisés en maîtres et en esclaves, puisqu’ils croyaient que cette division venait de Dieu et qu’il n’en pouvait être autrement ; mais une division semblable est-elle possible à notre époque ? L’homme de l’antiquité pouvait estimer comme son droit de jouir des biens de ce monde au détriment des autres hommes en les faisant souffrir de générations