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Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/130

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rieurs à tous les autres ? C’est peu de dire que ce sentiment n’est plus de nos jours une vertu, mais un vice : à proprement parler, le vrai patriotisme n’est même plus possible de nos jours parce qu’il n’a ni fondements matériels, ni fondements moraux. Le patriotisme pouvait avoir un sens dans le monde ancien où chaque peuple, plus ou moins homogène, professait la même religion d’État, se soumettait à la puissance illimitée d’un chef divinisé et se considérait comme une île au milieu de l’Océan des barbares qui tentait de la submerger. Mais quelle peut être la signification de ce sentiment à notre époque ? Pourquoi un homme ira-t-il, de nos jours, s’il est Russe, tuer des Français ou des Allemands, s’il est Français, tuer des Allemands, quand il sait fort bien, si peu instruit soit-il, que ces peuples contre lesquels bouillonne sa haine patriotique ne sont pas des barbares ; que comme lui, ils ne désirent que la paix, l’échange pacifique du travail, et qui souvent sont liés à lui par des intérêts commerciaux ou intellectuels ! Il arrive même qu’un homme trouve chez un peuple voisin plus d’éléments utiles et plus de traits de ressemblance que chez ses propres concitoyens.

L’union d’un homme avec les autres hommes ne peut pas être rompue par la ligne d’une frontière ou par le décret d’un gouvernement qui décide que tel individu appartient à tel ou tel autre peuple. Tous les hommes sont partout frères et égaux. Le vrai bien n’est possible qu’à la condition de reconnaître l’unité de tous les hommes du monde sans exception.