tout être intelligible, c’est-à-dire qu’il doit impressionner et transmettre les sensations, qu’elles soient vraies ou fausses. S’il ne peut pas les transmettre, et les transmettre effectivement, ce n’est pas de l’art. Si un homme, poursuit Tolstoï, sans aucun effort de sa part, reçoit, en présence de l’œuvre d’un autre homme, une émotion qui l’unit à cet autre homme, et à d’autres encore, recevant en même temps que lui la même impression, c’est que l’œuvre en présence de laquelle il se trouve est une œuvre d’art. Et une œuvre a beau être belle, poétique, riche d’effet et intéressante, ce n’est pas une œuvre d’art si elle n’éveille pas en nous cette émotion toute particulière, la joie de nous sentir en communion d’art avec l’auteur et avec les autres hommes en compagnie de qui nous lisons, voyons, entendons l’œuvre en question. « L’art bon, grand, universel, peut être incompréhensible pour un cercle restreint de gens corrompus, mais non pour toute la grande majorité d’hommes simples[1]. » Au lieu de chercher à initier « la majorité d’hommes simples » aux œuvres d’art les plus élevées, Tolstoï ne reconnaît comme vraiment artistiques que celles qui sont à la portée des ignorants et des intelligences rudimentaires ou fausses. « Dire d’une œuvre d’art qu’elle est bonne, et en même temps prétendre qu’elle n’est pas à la portée de tout le monde, c’est dire qu’un aliment est excellent, mais que les hommes ne peuvent pas le manger. » Pardon. L’aliment peut être excellent, mais il peut ne pas plaire à tout le monde, il peut
- ↑ Pensées de Tolstoï, p. 116, pensée 273.