curiosité, et il faut une certaine culture pour péné- trer leur beauté. Combien de fois faut-il retourner à la Sixtine, avant de déchiffrer un Michel-Ange ? Ce sont des études sans fin. Certes, la culture esthétique ne saurait être exclusive, mais il faut se soumettre aux épreuves d’un long noviciat. Ne comprend pas qui veut une œuvre d’art. « Pour qu’un tableau évoque en moi un plaisir esthétique, et l’action d’un de mes semblables, une émotion morale, il ne suffit pas que mes sens m'en révèlent l'existence, il faut que mon esprit les comprenne ‘. » Les personnes qui n’ont jamais éprouvé l'impression produite par une œuvre d'art peuvent aussi s’imaginer que les excitations ner- veuses provoquées en elles constituent des impres- sions artistiques. Comment donc vouloir qu’une œuvre d'art soit compréhensible à tout le monde ? Je ne parle pas de ceux — peintres, poètes, musi- ciens — qui ont élevé la confusion et l’obscurité, dans les œuvres d’art, au rang de qualité et qui ont admis l’indéfini et le nuageux comme des vertus artistiques. Leur art est non seulement incompréhen- sible à la majorité des homines, il est incompréhen- sible à leurs auteurs mêmes. Lorsqu'une œuvre d’art est claire, compréhensible pour l'artiste, elle le sera toujours pour ceux auxquels elle transmet les émo- tions de l'artiste. J'aime les œuvres nuageuses de Carrière, parce que je suis certain que leur auteur estsincère, qu’il y traduit ses émotions, je sens qu'il voit les choses comme il les peint ; il évoque en moi
(1) P.-F. Thomas. L'Éducation des sentiments, p. 31, Al- can, 1898.