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Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/19

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Un jour, il lui vint à la pensée que le bonheur ne dépend pas des événements extérieurs, mais de la façon dont nous les prenons ; qu’un homme accoutumé à supporter la douleur ne peut pas être malheureux. Et, pour s’accoutumer à la peine, il s’exerçait, malgré des douleurs atroces, à tenir un dictionnaire à bras tendu pendant cinq minutes, ou bien il s’en allait dans le grenier, il prenait des cordes et « il se donnait la discipline » sur le dos avec tant de vigueur que les larmes jaillissaient involontairement de ses yeux.

Une autre fois, il traçait, sur un tableau noir, des figures de géométrie avec de la craie, et il fut subitement frappé par cette idée : Pourquoi la symétrie est-elle agréable à l’œil ? Qu’est-ce que la symétrie ? C’est un sentiment inné, mais sur quoi a-t-il été fondé ? Est-ce que dans la vie tout est symétrique ? Au contraire. Et il lui vint aussitôt une telle abondance d’idées, qu’il dut marcher par la chambre.

Rien ne le séduisait plus que le scepticisme. Ignorant encore la philosophie de Schelling, il croyait que les objets existent, non par eux-mêmes, mais par leur relation avec le moi. Ces idées flattaient beaucoup l’amour-propre de Tolstoï : il se figurait souvent être un grand homme découvrant des vérités nouvelles. Mais plus il se plaçait haut dans sa propre opinion, plus il devenait timide devant les autres, moins il était capable d’affirmer le sentiment qu’il avait de sa propre valeur.

Les idées abstraites sont le produit de la faculté que possède l’homme d’avoir conscience de l’état de son âme à un moment donné et d’en garder mémoire. Le penchant de Tolstoï pour la réflexion abstraite