Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/191

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III

Comme Rousseau, Tolstoï croit que, pour être heureux, l’homme n’a qu’à renoncer aux hypocrisies de la civilisation moderne. La civilisation ! Qu’est-ce que la civilisation ? On peut user du téléphone et être un barbare. Le téléphone, l’électricité et les chemins de fer ne constituent pas la civilisation. La véritable civilisation consiste en ce que l’homme sache se conduire et discerner le Bien du Mal. Ce n’est pas dans la vie extérieure que les bienfaits de la vraie civilisation doivent s’exprimer, c’est dans la vie intérieure de l’homme et dans les actes qui en résultent.

Notre civilisation moderne a-t-elle fait cesser la douleur ? Voit-on un sourire plus vrai entr’ouvrir les lèvres des hommes ? Y a-t-il quelque chose de changé depuis que Saint-Simon s’écria : « Maîtres, esclaves ; patriciens, plébeiens ; seigneurs, serfs ; propriétaires, fermiers ; oisifs, travailleurs, — voilà l’histoire de l’antagonisme passé. Association universelle, voilà l’avenir ; voilà le droit nouveau, droit de travail. Les jours du prolétariat s’achèvent et le travail va devenir la loi de tous… Eh ! que viennent nous dire aujourd’hui nos légistes, publicistes, économistes ? Leur science prouvera-t-elle que le fils du pauvre est libre comme le fils du riche ? — Libre ! quand on manque de pain ! Qu’ils sont égaux en droits ? — Égaux en droits ! lorsque l’un a le droit de vivre sans travailler, et que l’autre s’il ne travaille pas, n’a plus que le droit de mourir ! »