Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tence des êtres. Et, avec une puissance orgueilleuse, il s’arrêtait à ces pensées. Mais de nouveau un sentiment supérieur l’avertissait que ce n’était pas cela et le poussait à chercher ailleurs. Il s’étendait sous un arbre, sans pensée et sans désirs, comme il arrive toujours après un travail excessif et se mettait à contempler les légers et transparents nuages qui passaient au-dessus de lui dans le ciel profond, infini. Tout à coup, et sans cause apparente, ses yeux s’emplissaient de larmes, une pensée lui venait qui s’emparait de toute son âme. Cette pensée à laquelle il s’attachait aussitôt avec joie, était celle-ci : l’amour et le bien sont la vérité et le seul bonheur possible au monde. Cette fois, la voix intérieure ne lui disait plus : « Ce n’est pas cela ! ce n’est pas cela ! » Il se levait et analysait sa pensée : « C’est bien cela ! c’est bien cela ! » répétait-il, plein d’allégresse. « L’amour et l’abnégation, voilà le seul bonheur, qui ne dépend pas du hasard, » se disait-il en souriant. « Donc, pour être heureux, je dois faire du bien. » Il voyait devant lui un immense champ d’activité pour toute son existence qu’il consacrerait au bien et qui lui donnerait du bonheur. « C’est ici que tu dois exercer ton activité, et quelle tâche agréable ! Agir sur les gens du peuple, si simples, si impressionnables, si neufs ! Et puis, qui m’empêche, moi aussi, de trouver le bonheur dans l’amour d’une femme et la paix dans la vie de famille ? Quel radieux avenir ! Comment n’y ai-je pas songé plus tôt[1] ! »

  1. Le prince Neklioudow.