sous le prétexte d’y faire du bien. La misère des moujiks est un mal inévitable, en tout cas un mal qu’on peut soulager sans oublier ses devoirs envers la société, envers les siens, envers soi-même. Avec ton intelligence, ton cœur, ton amour de la vertu, il n’est pas de carrière dans laquelle tu ne puisses espérer le succès. Je crois à ta sincérité quand tu te dis exempt d’ambition, mais tu te trompes toi-même. À ton âge, et avec tes moyens, l’ambition est une vertu. Tu as toujours voulu passer pour un original ; ton originalité n’est autre chose qu’un amour-propre excessif. »
Les « sages » conseils de sa tante n’ont point change la résolution de Tolstoï ; il envoya sa démission à l’Université et se fixa à Iasnaïa-Poliana.
Là, il se trouva en face de la nature et en même temps en face de la misère des moujiks, que, malgré sa fièvre juvénile et ses admirables intentions, il était impuissant à soulager…
Il visitait les paysans, s’intéressait à leur vie, à leur travail, mais il s’aperçut bientôt que la tâche qu’il s’imposait n’était pas facile. Il ne connaissait pas les paysans. Cela le faisait souffrir. Souvent, il errait, sans pensée, mécontent de ne pouvoir exprimer le sentiment qui l’oppressait. Tantôt son imagination lui présentait la voluptueuse image d’une femme avec tous les attraits de l’inconnu, et il lui semblait que c’était là l’objet de son désir inexprimé. Mais un sentiment supérieur lui disait : « Ce n’est pas cela », le contraignait à chercher un autre idéal. Tantôt son esprit inexpérimenté et ardent s’élevait par degrés insensibles dans les sphères de l’abstraction et semblait découvrir les lois de l’exis-