Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/39

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Tolstoï exalte les paroles de l’amiral Kornilov, « ce héros digne de la Grèce antique », disant à ses troupes : « Enfants, nous mourrons, mais nous ne rendrons pas Sébastopol. » Il exalte ceux qui se préparent avec jouissance à mourir, « non pour la défense de la ville, mais pour celle de la patrie ». « La Russie conservera longtemps les traces sublimes de l’épopée de Sébastopol, dont le peuple russe a été le héros[1] ! »

C’est sans le moindre frémissement d’horreur que Tolstoï aperçut pour la première fois le champ de bataille ; il éprouvait au contraire une jouissance esthétique, un sentiment de satisfaction héroïque en songeant que dans une demi-heure il serait lui-même là… « Si je ne suis pas tué, je serai porté sur la liste d’avancement. J’aurai peut-être la croix de Vladimir. »

Ce n’est qu’après avoir vu des amputés et des malades, et des poitrines arrachées et des yeux brillants de fièvre, après avoir vu les mourants sur les champs de bataille, qui se tordaient et gémissaient plus encore à cause du martyre moral que de la souffrance physique qu’ils enduraient, que Tolstoï comprit les horreurs de la guerre ; il comprit que la poudre et le sang ne parviendraient jamais à résoudre les questions, que les diplomates ne savent pas trancher…

Tolstoï visite les malades, les blessés qui aiment à voir un visage compatissant, à entendre des paroles de charité et de sympathie. Il commence à com-

  1. Souvenirs de Sébastopol.