Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tion naturelle : « Que suis-je et que dois-je enseigner ? » ne se présentât pas de soi-même, on expliquait dans cette théorie qu’il était inutile de savoir cela et que l’artiste et le poète enseignent sans connaissance de cause. Moi, j’étais considéré comme un grand artiste, un grand poète, et par conséquent il me fut très naturel de m’approprier cette théorie. Moi, l’artiste, le poète, j’écrivais, j’enseignais, je ne savais pas quoi moi-même. On me payait pour cela, j’avais tout : table magnifique, logement, femmes, société, j’avais la gloire. Cette foi dans l’importance de la poésie et du développement intellectuel, était ma religion, et moi, l’un de ses prêtres. C’était très agréable et très avantageux. Et j’ai vécu assez longtemps dans cette croyance, ne doutant pas de sa vérité[1]. »

Le mécontentement de Tolstoï est absolument compréhensible. Il venait de quitter le fier Caucase ; il venait de voir sur les champs de bataille « la grandeur de la souffrance humaine » et tout à coup, il se trouvait mêlé à la vie mondaine de la capitale ; au lieu de l’action, il n’entendait autour de lui que des mots, des mots, des mots…

Il commença bientôt à douter de l’infaillibilité des convictions de ses confrères, de leur foi dans le progrès, et il se mit à étudier, à observer, ces « prêtres de la pensée et de la parole ». Il comprit que leur croyance était une supercherie. Mais ayant compris tout ce mensonge et l’ayant renié, Tolstoï ne renonçait pas au titre d’artiste et de maître, que lui don-

  1. Confession.